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La guerre des civilisations n’aura pas lieu
Par Raphaël Liogier - Paris, CNRS Éditions, 2016, 240p.
Raphaël Liogier n’est pas encore aussi médiatique que Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut ou Michel Onfray. Mais il y a fort à parier que la voix de ce philosophe, professeur à l’IEP d’Aix-en-Provence, directeur de l’Observatoire du fait religieux, se fasse de plus en plus entendre sur la scène publique.
Il résume dans son dernier livre, sous un titre claquant, les thèses qu’il a exposées dans une œuvre déjà abondante. La remise en cause de la thèse de Samuel Huntington n’en constitue pas le point de départ, mais d’aboutissement. La sociologie du fait religieux est son principal sujet d’études : sa thèse avait pour thème l’occidentalisation du bouddhisme, et les études qu’il dirige à l’Observatoire du fait religieux documentent un « retour du religieux », loin des thèses longtemps prévalentes sur le « désenchantement du monde ».
Cette « désécularisation » s’opère selon trois tendances communes aux trois religions. Le spiritualisme, rationnel, séduit les classes supérieures qui embrassent de nouvelles spiritualités New Age ou Next Age : groupes néochrétiens, néojudaïques, néomusulmans (avec le néo-soufisme). Le charismatisme, émotionnel, touche les classes défavorisées d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne ou d’Occident : les prêcheurs évangéliques ou les télécoranistes égyptiens ou indonésiens jouent sur les mêmes ressorts. Le fondamentalisme, réactionnel, a pour centre névralgique le Moyen-Orient, où il se nourrit de la rancœur accumulée par des populations en mal de reconnaissance, mais se retrouve également dans le catholicisme ou dans le bouddhisme.
Raphaël Liogier – qui a achevé la rédaction de son livre au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 – consacre de stimulants passages à l’islamisme. Il récuse le fantasme d’une essence islamique antimoderne et belliqueuse. Avec Olivier Roy, il distingue la fausse radicalisation de l’islam de la vraie islamisation de la radicalité. Ce n’est pas l’islam qui se radicalise, ce sont des jeunes déclassés, sans passé religieux, qui découvrent sur Internet un canal pour exprimer leur haine. De ce point de vue, Raphaël Liogier nous invite à reconsidérer le port du voile intégral, qui constitue moins la manifestation d’une religion phallocratique qu’un défi « hypervolontaire » de femmes en quête d’identité.
L’hypermodernité religieuse, marquée par un mélange des styles et un gommage des frontières, est caractéristique de notre temps. Raphaël Liogier utilise quelques formules chocs pour la définir : « individuo-globalisme », « grand bain informationnel », « espaces de désir déterritorialisé », etc. Le constat n’est pas novateur, et Gilles Lipovetsky l’avait déjà dressé trente ans plus tôt : à l’ère de la mondialisation, la distance abolie ne limite plus nos capacités d’appartenir à des communautés immatérielles et éphémères – et à nous éloigner paradoxalement de nos propres voisins. L’avènement d’Internet a accéléré ce processus et en a modifié la structure : récepteur passif d’une information sans cesse plus volumineuse, l’individu est désormais à même de devenir un émetteur actif.
C’est à partir de ce constat général que Raphaël Liogier déconstruit la thèse de Samuel Huntington. Dans un monde de plus en plus « liquide », les identités se métissent, les valeurs se diffusent, les frontières perdent leurs sens. La théorie du « choc des civilisations » se réduit à une prise de conscience réactionnaire d’une identité en déclin, un « appel aux armes », selon la formule de Giuseppe Sacco, de l’Ouest contre le Reste, dont la valeur est moins descriptive qu’axiologique.
Il résume dans son dernier livre, sous un titre claquant, les thèses qu’il a exposées dans une œuvre déjà abondante. La remise en cause de la thèse de Samuel Huntington n’en constitue pas le point de départ, mais d’aboutissement. La sociologie du fait religieux est son principal sujet d’études : sa thèse avait pour thème l’occidentalisation du bouddhisme, et les études qu’il dirige à l’Observatoire du fait religieux documentent un « retour du religieux », loin des thèses longtemps prévalentes sur le « désenchantement du monde ».
Cette « désécularisation » s’opère selon trois tendances communes aux trois religions. Le spiritualisme, rationnel, séduit les classes supérieures qui embrassent de nouvelles spiritualités New Age ou Next Age : groupes néochrétiens, néojudaïques, néomusulmans (avec le néo-soufisme). Le charismatisme, émotionnel, touche les classes défavorisées d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne ou d’Occident : les prêcheurs évangéliques ou les télécoranistes égyptiens ou indonésiens jouent sur les mêmes ressorts. Le fondamentalisme, réactionnel, a pour centre névralgique le Moyen-Orient, où il se nourrit de la rancœur accumulée par des populations en mal de reconnaissance, mais se retrouve également dans le catholicisme ou dans le bouddhisme.
Raphaël Liogier – qui a achevé la rédaction de son livre au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 – consacre de stimulants passages à l’islamisme. Il récuse le fantasme d’une essence islamique antimoderne et belliqueuse. Avec Olivier Roy, il distingue la fausse radicalisation de l’islam de la vraie islamisation de la radicalité. Ce n’est pas l’islam qui se radicalise, ce sont des jeunes déclassés, sans passé religieux, qui découvrent sur Internet un canal pour exprimer leur haine. De ce point de vue, Raphaël Liogier nous invite à reconsidérer le port du voile intégral, qui constitue moins la manifestation d’une religion phallocratique qu’un défi « hypervolontaire » de femmes en quête d’identité.
L’hypermodernité religieuse, marquée par un mélange des styles et un gommage des frontières, est caractéristique de notre temps. Raphaël Liogier utilise quelques formules chocs pour la définir : « individuo-globalisme », « grand bain informationnel », « espaces de désir déterritorialisé », etc. Le constat n’est pas novateur, et Gilles Lipovetsky l’avait déjà dressé trente ans plus tôt : à l’ère de la mondialisation, la distance abolie ne limite plus nos capacités d’appartenir à des communautés immatérielles et éphémères – et à nous éloigner paradoxalement de nos propres voisins. L’avènement d’Internet a accéléré ce processus et en a modifié la structure : récepteur passif d’une information sans cesse plus volumineuse, l’individu est désormais à même de devenir un émetteur actif.
C’est à partir de ce constat général que Raphaël Liogier déconstruit la thèse de Samuel Huntington. Dans un monde de plus en plus « liquide », les identités se métissent, les valeurs se diffusent, les frontières perdent leurs sens. La théorie du « choc des civilisations » se réduit à une prise de conscience réactionnaire d’une identité en déclin, un « appel aux armes », selon la formule de Giuseppe Sacco, de l’Ouest contre le Reste, dont la valeur est moins descriptive qu’axiologique.