Depuis le 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme est devenue une préoccupation stratégique majeure. Elle pose aux démocraties occidentales un défi de taille : comment garantir la sécurité des citoyens sans menacer les libertés individuelles ? Tel est le « dilemme démocratique » qu’explore Colombe Camus dont on avait lu avec intérêt dans ces colonnes un article sur ce sujet
[1]. La question n’est pas nouvelle. Elle était au centre de l’ouvrage du sociologue belge Jean-Claude Paye,
La fin de l’État de droit (La Dispute, 2004), dont nous avions rendu compte ici. Mais la présentation synthétique qu’en fait Colombe Camus dans l’agréable collection « Échéances » du Félin captera l’attention du lecteur intéressé par les risques de dérives sécuritaires que porte l’après 11 septembre. D’autant que l’auteur évite la dénonciation sans nuance de ces dérives que pouvait laisser augurer le parrainage un peu ostentatoire que lui apporte Amnesty International.
Aussi objectif soit-il, le bilan de six années de « guerre contre le terrorisme » ne tourne pas à l’avantage des États-Unis. Colombe Camus montre comment Washington a choisi de répondre aux agressions du 11 septembre par l’usage de la force et dans quelles impasses cette « militarisation de la lutte contre le terrorisme » a conduit la première puissance mondiale. Elle documente ensuite les libertés prises par Washington avec le droit international : un chapitre est consacré à Guantanamo où les États-Unis ont cru pouvoir transférer les « ennemis combattants illégaux » et les juger selon des procédures dérogatoires au droit commun avant que la Cour suprême n’en décide autrement ; un autre chapitre est consacré aux « prisons secrètes » où des actes de torture sont parfois pratiqués (Bagram, Abou Ghraib) et aux « restitutions extraordinaires » de prisonniers effectuées en catimini.
L’auteur évoque également les réponses institutionnelles apportées par les États-Unis au défi terroriste. Il s’agit d’une part d’une législation, l’USA Patriot Act, lourde de menaces pour les libertés individuelles. Il s’agit d’autre part de la création d’une administration, le ministère de la Sécurité intérieure (Office of homeland security), chargée de coordonner l’action des agences et services peu ou prou impliqués dans la lutte contre le terrorisme.
La seconde partie de ce court ouvrage est consacrée aux politiques européennes, et particulièrement françaises, de lutte contre le terrorisme. Leur principale caractéristique est, à la différence du modèle américain, leur refus de la militarisation et l’accent mis sur la réponse judiciaire. Dans l’Union européenne, dès avant 2001, et plus encore après les attentats de septembre 2001, mars 2004 (Madrid) et juillet 2005 (Londres), une intense coopération policière et judiciaire s’est développée, dans le cadre du « troisième pilier » du Traité de Maastricht. La tentation est toutefois grande de profiter du traumatisme créé par ces attentats pour faire adopter des législations exceptionnelles. Et si l’adoption de ces dispositifs se heurte à une trop forte opposition, l’échelon européen où le processus de décision est encore trop technocratique est bien pratique, surtout si l’on invoque les exigences américaines (cf. les transferts des données personnelles des voyageurs aériens transatlantiques aux autorités américaines).
La France reproduit à son échelle ce schéma. Elle a développé, avant le 11-Septembre 2001 et en réaction aux attentats terroriste qui l’ont frappée dans les années 1980 et 1990, une législation qui est souvent citée en modèle : l’infraction spécifique « d’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste » (AMT) combinée aux pouvoirs très étendus reconnus à la 14e section du parquet de Paris a permis d’engranger de jolis résultats dans la lutte anti-terroriste. Mais, en France comme aux États-Unis, le dilemme démocratique se pose : les errements de l’affaire Chalabi, qui vit la mise sous écrou de 176 islamistes soi-disant radicaux qui pour la plupart bénéficièrent de non-lieu, furent relaxés ou condamnés à des peines légères, illustrent les dérives possibles d’un régime potentiellement liberticide.
[1]. « La lutte contre le terrorisme dans les démocraties occidentales : État de droit et exceptionnalisme », La Revue internationale et stratégique, n° 66, été 2007, p. 9-23.