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La Globalisation. Une sociologie
Saskia Sassen Paris, Gallimard, 2009, 341 p.
Saskia Sassen est célèbre pour ses analyses des phénomènes globaux, tellement lues et commentées que cet ouvrage apparaît davantage comme la synthèse de ses travaux – sur les migrations, les villes « globales », la mondialisation financière – et un état des lieux de la question que comme un ouvrage novateur. Par ailleurs, livre relativement court au regard du sujet, demeure d’une certaine manière assez abstrait, désincarné, et les exemples illustratifs auraient été les bienvenus.
S. Sassen se préoccupe de clarifier la nature de la globalité, tant politique qu’économique ; car finalement, affirme-t-elle, peu d’aspects de la situation actuelle échappent à une réalité nationale essentielle. Malgré la diffusion d’informations semblables à travers la planète et la possibilité de raccourcir le temps et l’espace grâce aux technologies de l’information et de la communication, il n’y a eu ni globalisation des luttes politiques, ni dispersion des centres de décision et d’impulsion. Au contraire, l’émiettement des unités de production a entraîné un renforcement des centres. Plus les fonctions de direction sont complexes, plus une main d’œuvre, toujours plus experte et qualifiée, est nécessaire et entraîne des besoins d’économie d’échelle, et donc une concentration de ces ressources rares au même endroit. Une vingtaine de villes « globales » bénéficient de ce phénomène de concentration, nous retrouvons ici le concept de « métropolisation » développé dans les années 1990 en géographie (on regrette que l’auteur, caractéristique dans l’ensemble d’une approche très anglo-saxonne, n’ait pas cité les travaux de Pierre Veltz[1]). Par ailleurs, toute une série de fonctions de services sont sous-traités et externalisés dans les zones périphériques. Mais loin d’être insérées dans un réseau extranational et en quelque sorte hors sol vis-à-vis de l’implantation géographique, ces villes reflètent les caractéristiques de leur milieu d’émergence. Ainsi, elles ont contribué à imposer le système technique, normatif et conceptuel de l’Atlantique du Nord. Par ailleurs, le pouvoir financier demeure concentré dans cette région du monde, car « à l’exception de quelques records absolus en capitaux aux Japon et des achats de dollars américains par la Chine, ces régions font l’effet de nains en comparaison du système nord-atlantique » (p. 65).
La globalisation a consolidé la place de ces villes en aspirant deux types de population migrante : les personnes très qualifiées et les membres des classes sociales modestes. Les premiers bénéficient d’une grande latitude pour se mouvoir à travers le réseau mondial des villes globales, renforçant les liens entre elles. La seconde catégorie suit des chemins plus contraints pour travailler dans l’environnement de services qui entoure ces centres globaux de direction. Ces deux types façonnent des espaces urbains nouveaux, mais c’est sans doute le second, numériquement bien plus important, qui forme un nouvel espace politique caractérisé par le phénomène diasporique et les revendications de type communautaire ou ethnique. La deuxième catégorie, n’est pas cosmopolite, mais plutôt « dénationalisée », s’enracinant en fait dans un double environnement local.
L’État voit-il son autorité s’amenuiser ? Le rôle des institutions multilatérales n’est pas vraiment exploré, mais l’auteur s’arrête judicieusement sur la constitution des réseaux d’experts et de décideurs des administrations nationales, qui ont développé une intense collaboration pour résoudre les problèmes entraînés par les flux transnationaux. Si l’univers de ces administrations devient global, leur chaîne hiérarchique demeure essentiellement nationale. Mais cette production de normes connaît un début de globalisation pure par mise en place de cours d’arbitrage, d’organismes et d’accords complètement dénationalisés tout en ne formant véritablement de nouvelles organisations interétatiques. Pourtant, dans l’ensemble, les autorités étatiques ont vu leur importance se renforcer pour gérer une globalisation économique et financière toujours plus complexe. Il n’existe pas de réseau, financier ou numérique, qui soit totalement hors sol et échappe aux contraintes territoriales, et donc à la loi d’un État. La coordination entre les services des États s’est nettement améliorée pour trouver des solutions à l’indépendance (Internet) ou à la dérive (finance) de certains acteurs de la globalisation.
[1]. Pierre Veltz, Mondialisation, villes, territoires : l’économie d’archipel, Paris, PUF, coll. « Quadriges », 2007.