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La France et l’OTAN.
Maurice Vaïsse, Pierre Mélandri et Frédéric Bozo (dir.) Éditions André Versaille, Bruxelles, 2012, 650 p.
Réédition des actes d’un colloque tenu à l’École militaire en 1996, à l’occasion des trente ans du retrait de la France du commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), cet ouvrage collectif sur l’histoire des relations entre la France et l’Alliance atlantique n’est donc pas un énième livre sur l’OTAN. Ce parti-pris historique, délibéré et affiché, permet de contourner les dérives qu’ont connues les débats sur ce thème au cours des dix dernières années : profusion de visions normatives et manichéennes sur l’intérêt ou non d’un retour français, distorsions partisanes des analyses sur le bien-fondé de ce retour, etc.
Même limitées à la période 1945-1991, les relations entre la France et l’OTAN demeurent néanmoins un objet historique délicat à construire, en particulier dans la période la plus récente, de par une contemporanéité aigüe du sujet rendant délicate la scientificité historique.
À ce titre, et sans que l’on sache s’il s’agit d’un parti-pris scientifique et éditorial, délibéré ou non, l’ouvrage présenté ici est plus nourri et convaincant dans son étude des phases initiales de son sujet que dans la période 1969-1991. La première partie (Du temps de la IVe République, p. 19-216) permet ainsi de restituer utilement les hésitations et repositionnements stratégiques hexagonaux sous la IVe République aussi bien que les débats et incertitudes de l’époque quant à l’avenir des arrangements européens et transatlantiques, débats trop souvent oubliés de nos jours au détriment d’une vision lissée de la trajectoire de ces deux ensembles alors en constitution. La deuxième partie consacrée à la période gaullienne (La République gaullienne, p. 219-502), sans conteste la plus riche est en réalité au cœur de l’ouvrage collectif. La décision de 1966 y apparaît comme le résultat prévisible, la résultante rationnelle, annoncée et presque inéluctable de la réévaluation de l’environnement et de la posture stratégique entamée par Charles de Gaulle, et que des contradictions ou questionnements sous la IVe République avaient déjà peut-être préfiguré. Le contraste est saisissant avec la perception – par certains acteurs et observateurs aux États-Unis ou au Royaume-Uni – d’une action irréfléchie, peu visionnaire et peu inspirée d’un de Gaulle agissant sans avoir conscience de l’impact à long terme de sa décision. La troisième partie de l’ouvrage (Après de Gaulle, p. 517-634), moins fournie que les deux premières, permet néanmoins de montrer comment les deux parties se sont accommodées de ce divorce tout relatif de 1966, en construisant une relation cyclothymique alternant réchauffements et tensions.
Il n’émerge que rarement d’argument central et unique de ce type d’ouvrages collectifs, en particulier dès lors qu’ils s’inscrivent dans le champ de l’analyse historique et non dans celui des relations internationales. Si la riche rétrospection historique pilotée ici par trois spécialistes incontestés du sujet n’échappe pas à cette règle, des tendances lourdes fort utiles en émergent néanmoins. L’existence d’un lien inextricable entre les ajustements successifs de la posture et de l’action stratégique française d’une part, la trajectoire de l’Alliance atlantique d’autre part, et celle de la construction européenne enfin est mise en évidence. L’influence très grande des perceptions mutuelles entre acteurs dans la décision de politique étrangère, est aussi mise en valeur. La nature vivante, évolutive et non prédéterminée des institutions et coopérations internationales apparait aussi clairement.
Alors que les contours, les motivations et surtout les retombées de la réintégration de 2009 sont encore sujets à débats, ces rappels sont à ce titre utiles pour qui souhaite replacer les décisions récentes dans le temps long de l’Histoire.