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La dynastie rouge
par Pascal Dayez-Burgeon - Paris, Perrin, 2014, 446p.
La Corée du Nord effraie autant qu’elle fascine. Les clichés font florès pour décrire « l’autre pays du matin calme » : « royaume ermite », « dictature ubuesque », « redoute stalinienne », « satrapie extrême-orientale », « Disneyland de l’horreur », etc. Les rumeurs les plus folles circulent sur la dynastie à sa tête depuis 1945 : comme l’écrit avec beaucoup d’ironie Pascal Dayez-Burgeon, « on s’imagine souvent les Kim en pachas des mille et une nuits, escortés d’odalisques lascives leur versant à toute heure le nectar et l’ambroisie » (p. 415). Cette hyperbolisation est dangereuse. « Prétendre que les Kim sont des fous furieux ou, au contraire, qu’ils seraient redoutablement intelligents, rend hommage à Shakespeare mais n’explique pas grand-chose » (p. 413). Loin des clichés et des fantasmes, P. Dayez-Burgeon invite donc à comprendre la Corée du Nord.
Il rappelle les invariants géographiques. Car la division coréenne n’est pas seulement politique. Le 38e parallèle sépare aussi deux biotopes : au Sud, les rizières verdoyantes et les littoraux riants ; au Nord, les vallées encaissées et les hivers rigoureux où « depuis des siècles on se terre pour résister aux assauts de l’étranger » (p. 411). L’environnement régional de la péninsule est tout aussi déterminant. La Corée se compare souvent à une « crevette parmi les baleines » : le Japon, qui la colonisa de 1910 à 1945 ; la Chine, qui la regarde comme une marche turbulente ; l’Union soviétique, qui en libéra la moitié septentrionale en 1945 en lui transmettant son idéologie ; les États-Unis, pour lesquels elle constitue une zone tampon avec la Chine.
Mais la géographie n’explique pas tout. P. Dayez-Burgeon raconte comment Kim Il-sung a pris le pouvoir en 1945 et comment il a créé une « dynastie rouge », étrange oxymore rendant compte du mariage contre nature d’une idéologie marxiste-léniniste avec des modalités monarchiques de dévolution du pouvoir. Le plan de son ouvrage est classiquement chronologique. Mais chaque chapitre tire des liens entre le passé et le présent.
L’auteur parvient à trouver une logique dans un pouvoir dont on se trompe en pensant qu’il n’aurait d’autres règles que l’absurdité et la folie. Kim Il-sung, son fils et son petit-fils ont chacun à leur façon su flatter la fibre nationaliste et exercer un pouvoir de nuisance à l’international. On aurait tort de sous-estimer la première, sans ignorer pour autant le despotisme de fer auquel est soumis le peuple. Maîtres ès propagande, installés au pouvoir depuis près de soixante-dix ans, les Kim ont réussi à reprendre à leur compte tous les symboles de la nation : Koryo, l’antique Corée, qui a donné son nom à la compagnie aérienne nationale et au principal hôtel de Pyongyang ; Tangun, le père fondateur, dont les mânes sont invoquées chaque fois que l’État est en danger ; le mont Paektu, où Kim Jong-il prétendait avoir vu le jour alors qu’il est né pendant la Seconde Guerre mondiale dans la banlieue de Khabarovsk, en Union soviétique, où Kim Il-sung avait trouvé refuge.
À l’extérieur, les Kim ont compris que leur nocivité était leur meilleur atout et ont multiplié les chantages. Chantage humanitaire quand la Corée du Nord, ruinée par le collectivisme et le poids des dépenses militaires, a été confrontée à une effroyable famine en 1995-1997. Chantage nucléaire avec la menace de se doter de l’arme puis, après l’essai du 9 octobre 2006, de l’utiliser. L’inconvénient de cette politique est qu’elle est condamnée à surenchérir pour rester crédible. Jusqu’où ira l’escalade ? L’ouvrage de P. Dayez-Burgeon pose autant de – bonnes – questions qu’il fournit de réponses. Il se conclut sur une ultime interrogation : « Les Kim sont encore là pour un certain temps. Mais ce temps est incertain » (p. 419).
Il rappelle les invariants géographiques. Car la division coréenne n’est pas seulement politique. Le 38e parallèle sépare aussi deux biotopes : au Sud, les rizières verdoyantes et les littoraux riants ; au Nord, les vallées encaissées et les hivers rigoureux où « depuis des siècles on se terre pour résister aux assauts de l’étranger » (p. 411). L’environnement régional de la péninsule est tout aussi déterminant. La Corée se compare souvent à une « crevette parmi les baleines » : le Japon, qui la colonisa de 1910 à 1945 ; la Chine, qui la regarde comme une marche turbulente ; l’Union soviétique, qui en libéra la moitié septentrionale en 1945 en lui transmettant son idéologie ; les États-Unis, pour lesquels elle constitue une zone tampon avec la Chine.
Mais la géographie n’explique pas tout. P. Dayez-Burgeon raconte comment Kim Il-sung a pris le pouvoir en 1945 et comment il a créé une « dynastie rouge », étrange oxymore rendant compte du mariage contre nature d’une idéologie marxiste-léniniste avec des modalités monarchiques de dévolution du pouvoir. Le plan de son ouvrage est classiquement chronologique. Mais chaque chapitre tire des liens entre le passé et le présent.
L’auteur parvient à trouver une logique dans un pouvoir dont on se trompe en pensant qu’il n’aurait d’autres règles que l’absurdité et la folie. Kim Il-sung, son fils et son petit-fils ont chacun à leur façon su flatter la fibre nationaliste et exercer un pouvoir de nuisance à l’international. On aurait tort de sous-estimer la première, sans ignorer pour autant le despotisme de fer auquel est soumis le peuple. Maîtres ès propagande, installés au pouvoir depuis près de soixante-dix ans, les Kim ont réussi à reprendre à leur compte tous les symboles de la nation : Koryo, l’antique Corée, qui a donné son nom à la compagnie aérienne nationale et au principal hôtel de Pyongyang ; Tangun, le père fondateur, dont les mânes sont invoquées chaque fois que l’État est en danger ; le mont Paektu, où Kim Jong-il prétendait avoir vu le jour alors qu’il est né pendant la Seconde Guerre mondiale dans la banlieue de Khabarovsk, en Union soviétique, où Kim Il-sung avait trouvé refuge.
À l’extérieur, les Kim ont compris que leur nocivité était leur meilleur atout et ont multiplié les chantages. Chantage humanitaire quand la Corée du Nord, ruinée par le collectivisme et le poids des dépenses militaires, a été confrontée à une effroyable famine en 1995-1997. Chantage nucléaire avec la menace de se doter de l’arme puis, après l’essai du 9 octobre 2006, de l’utiliser. L’inconvénient de cette politique est qu’elle est condamnée à surenchérir pour rester crédible. Jusqu’où ira l’escalade ? L’ouvrage de P. Dayez-Burgeon pose autant de – bonnes – questions qu’il fournit de réponses. Il se conclut sur une ultime interrogation : « Les Kim sont encore là pour un certain temps. Mais ce temps est incertain » (p. 419).