David Recondo, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po et vice-président de l’OPALC, publie aux éditions Karthala La démocratie mexicaine en terres indiennes. Cet ouvrage de 452 pages, issu d’une thèse de doctorat, se fixe comme objectif d’étudier une des questions clés du système démocratique mexicain, à savoir la reconnaissance du caractère multiculturel de la société, ses significations et ses implications. L’auteur fait le choix de centrer son analyse sur l’État d’Oaxaca, un choix judicieux à plus d’un titre. En effet, il s’agit tout d’abord de l’État le plus indien du Mexique (près du tiers de sa population est indigène, soit plus d’un million d’individus) et c’est là aussi que le pouvoir central va mener une expérience inédite : plutôt que de remodeler les programmes d’enseignement ou de mettre l’accent sur la question territoriale, l’État central va réaliser la reconnaissance multiculturelle à travers la légalisation des formes traditionnelles d’élection des autorités municipales. David Recondo, dans une introduction détaillée, dont on regrettera seulement l’absence d’un véritable état de la question, expose les nombreuses questions sous-tendues par la problématique générale de son ouvrage. Parmi toutes ces interrogations, deux semblent particulièrement importantes : pourquoi l’État central limite cette expérience à l’Oaxaca et pourquoi a-t-il décidé à un moment précis d’officialiser des pratiques jusque-là simplement tolérées ?
Pour répondre à ces questions, cet ouvrage, dont on appréciera la méthode et la rigueur scientifiques, se divise en deux parties. La première partie analyse la genèse de la réforme électorale qui légalise les coutumes en 1995, puis interdit en 1997 l’intervention des partis politiques dans les élections locales de plus de 400 communes. L’auteur définit avec précision le véritable contenu du pacte clientéliste entre le pouvoir et les communautés indiennes, et étudie la construction de ce qu’il nomme l’acteur politique indien. David Recondo va ensuite s’intéresser à l’avènement du multipartisme et à la multiplication des conflits communautaires. Dans la deuxième partie de son ouvrage, l’auteur aborde la question de la mise en place en 1995 du système de « double voie électorale » : via la forme coutumière d’une part et via le système des partis de l’autre. Cette réforme sera à la fois créatrice de nouvelles dynamiques politiques et source de conflits dont l’auteur propose une analyse détaillée et pertinente. Ladite analyse est mise en perspective par une réflexion sur l’utilisation politique de la coutume et les relations complexes de cette dernière avec le concept même de démocratie.
L’ouvrage fait apparaître que la reconnaissance légale des coutumes électorales des communautés indiennes est le fruit d’intérêts contradictoires et l’origine d’effets qui le sont tout autant. En effet, la tentative de conjugaison des motivations de partis politiques nationaux aussi différents que le PRI et le PRD, des autorités locales et des organisations indiennes ne peut que générer une forte ambivalence. À la différence de nombreux mexicanistes, David Recondo ne cède pas à l’idéalisation du rôle des communautés indiennes dans la reconnaissance des formes électorales coutumières dans l’Oaxaca. L’auteur démontre que cette reconnaissance s’explique en grande partie par la volonté du PRI de conserver son hégémonie en explorant une nouvelle voie pour maintenir le pacte clientéliste qui le lie depuis des décennies aux communautés. Fuyant également l’idéalisation du système, l’auteur souligne que la légalisation des coutumes électorales communautaires est loin de réduire le niveau de conflit lors des élections locales ; deux questions étant particulièrement conflictuelles : le choix du mode électoral (coutumier ou basé sur le jeu des partis politiques) et, dans le cas d’un mode coutumier, la définition des procédures (candidats admis ou non à se présenter, modalités de vote, etc.). En conclusion, David Recondo admet que si la légalisation des coutumes électorales dans l’Oaxaca présente des limites, elle n’en demeure pas moins un important vecteur de démocratisation.
La lecture de cet excellent ouvrage permet de mieux cerner les enjeux de la politque locale mexicaine et, au-delà, comme le souligne l’auteur dans sa thèse, de mieux comprendre que les réformes institutionnelles participent au modelage des rapports de force et du jeu des acteurs politiques et sociaux.