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La crise ivoirienne. De Félix Houphouët-Boigny à la chute de Laurent Gbagbo
Thomas Hofnung Paris, La Découverte, 2011, 192 p.
Thomas Hofnung avait déjà consacré un livre en 2005 à la Côte d’Ivoire, La crise en Côte d’Ivoire. Dix clés pour comprendre. On ne peut que se féliciter que La Découverte l’ait invité à actualiser son ouvrage. Car, avec la reddition, le 11 avril 2011, de Laurent Gbagbo et de ses forces, c’est une page qui se tourne dans l’histoire de ce pays.
Tout commence en 1993 avec la mort de Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance ivoirienne. Trois hommes se disputent alors sa succession, les trois mêmes que l’on retrouve près de vingt ans plus tard, opposés dans un duel fratricide : l’héritier officiel Henri Konan Bédié, l’opposant de toujours Laurent Gbagbo, et l’économiste en chef Alassane Ouattara.
Le premier gouverna le pays pendant sept ans, distilla le poison de l’ivoirité pour disqualifier Ouattara et fut victime d’un mouvement d’humeur de la soldatesque qui se transforma, sans que personne l’eût vraiment voulu, en putsch militaire à Noël 1999. Le deuxième remporta l’élection calamiteuse d’octobre 2000 et, grâce à un talent manœuvrier qui lui valut le surnom de boulanger d’Abidjan se maintint au pouvoir pendant près de dix ans. Persuadé qu’il allait les emporter, il finit par consentir à organiser des élections qu’il perdit, affirma contre toute évidence qu’il les avait gagnées et fut finalement délogé du pouvoir par les troupes du « Président élu » soutenues par l’armée française. Le troisième prend à soixante-neuf ans la tête d’un pays exsangue : l’économie est « en panne sèche » (p. 176), la société « en lambeaux » (p. 175). Les défis sont immenses. Il faut mobiliser l’aide extérieure et rassurer les investisseurs internationaux. Il faut créer une nouvelle armée en démilitarisant les milices. Il faut juger les crimes de guerre, notamment ceux commis par les forces pro-Ouattara dans l’ouest du pays à Duékoué. Il faut enfin tourner la page de l’ivoirité et (re)construire une citoyenneté ivoirienne porteuse de sens.
Quelle place pour la France dans la nouvelle Côte d’Ivoire ? Pour éviter de se retrouver prise au piège, comme elle le fut en novembre 2004 lorsque les Jeunes patriotes de Charles Blé Goudé prirent d’assaut l’hôtel Ivoire, la France a veillé à n’être jamais au premier plan. Son comportement durant la chute de Laurent Gbagbo fut de ce point de vue exemplaire. Elle a d’abord délégué à l’ONU le soin de contrôler le déroulement de l’élection présidentielle. Elle a ensuite laissé l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) tenter d’asphyxier économiquement le Président sortant. Et si elle a enfin prêté la main aux forces de Ouattara pour déloger Gbagbo du sous-sol du palais présidentiel, c’est à leur demande expresse et sur le fondement de la résolution 1975 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Le Président Ouattara sait ce qu’il doit à la France. Mais il sait aussi que le soutien trop visible de l’ancienne puissance coloniale lui serait rapidement reproché. La France n’a d’ailleurs pas l’intention de renouer avec un quelconque « âge d’or » depuis longtemps révolu. Certes Bouygues ou Bolloré ont des intérêts économiques à Abidjan. Certes la France ne peut se désintéresser de sa nombreuse communauté qui a dû être rapatriée en 2004 et qui est depuis revenue en masse, manifestant sa confiance dans l’avenir du pays. Mais elle n’a pas besoin économiquement de la Côte d’Ivoire. Certes elle y maintiendra une présence militaire mais la réorganisation de son dispositif africain est désormais bien engagée qui fait de Libreville la dernière base française sur la façade atlantique. Pour toutes ces raisons, la France doit avoir le triomphe modeste et, sans se départir de la retenue dont elle a su faire preuve depuis le début de la crise, savoir accompagner la Côte d’Ivoire dans sa reconstruction en gardant un profil bas.