See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
La citoyenneté européenne. Un espace quasi étatique
par Teresa Pullano - Paris, Presses de Sciences Po, 2014, 300p.
La citoyenneté européenne est désormais un concept bien connu. Instituée par le traité de Maastricht en 1992, précisée par les traités d’Amsterdam, en 1997, et de Lisbonne, en 2007, elle complète mais ne remplace pas la citoyenneté nationale. Comme le stipule l’article 9 du traité sur l’Union européenne, « [e]st citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre ». Les citoyens européens disposent de droits garantis par les traités. Le premier d’entre eux est celui de circuler, séjourner, étudier et travailler sur le territoire des autres États membres. D’autres ont un caractère politique : le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et du Parlement européen dans l’État membre où ils résident, le droit de pétition devant le Parlement européen, le droit de saisine du Médiateur européen, ou encore le droit d’initiative citoyenne, qui permet d’inviter la Commission à présenter une proposition législative si 1 million de citoyens en font la demande.
La thèse de Teresa Pullano, chercheur italienne passée par les universités de Rome, Columbia, Paris et Bruxelles, traite de la citoyenneté européenne sous l’angle de la philosophie du droit. Il s’agit d’une tentative ambitieuse et ardue de penser la citoyenneté hors du cadre traditionnel de l’État-nation, dans les frontières confortables duquel la définition de la citoyenneté ne pose guère de problème. Mais la construction européenne complique cette typologie traditionnelle. Comme l’annonce dans sa préface Jean-Marie Donegani, qui co-dirigea la thèse de Teresa Pullano à l’Institut d’études politiques de Paris, « l’enjeu théorique de cette recherche est donc la possibilité de penser une citoyenneté qui soit politique tout en étant dépourvue de tout ce qui traditionnellement définit l’unité politique et le sujet politique » (p. 15).
Deux modalités d’articulation entre la citoyenneté européenne et les citoyennetés nationales sont proposées. La première s’inscrit sous le sceau de la complémentarité ; la seconde, inspirée notamment du patriotisme constitutionnel de Jürgen Habermas, sous celui du dépassement. L’une et l’autre ont le défaut de poser la citoyenneté nationale comme « mètre étalon » (p. 64). Teresa Pullano ne s’en satisfait pas. Raisonnant à partir de la méthode des « opérations de droit », développée par l’anthropologue du droit romain Yan Thomas, c’est-à-dire des agencements concrets que le droit produit, l’auteur identifie une « continuité dans la discontinuité » entre les citoyennetés stato-nationales et la citoyenneté européenne. Car l’émergence de la citoyenneté européenne ne se limite pas à produire une lente homogénéisation des statuts citoyens ; elle engendre simultanément et paradoxalement des différences de statut : différences dans le temps – liées par exemple aux mesures transitoires appliquées aux droits des citoyens des nouveaux États membres – ou dans l’espace – le droit applicable aux régions ultra-périphériques et aux pays et territoires d’outre-mer.
Teresa Pullano ose un parallèle audacieux entre ces droits hiérarchisés et le droit de la citoyenneté à l’époque coloniale. On la suivra difficilement dans cette voie-là. En revanche, on ne peut qu’être sensible à son souci de re-territorialiser le projet européen. Le territoire est, en effet, un refoulé de l’intégration européenne : il n’y est fait quasiment aucune mention dans les traités européens. On lui préfère le terme d’espace : espace de libre circulation, espace Schengen, espace de liberté, de sécurité et de justice. Or, l’Union européenne a bien un territoire qui – fait quasi-unique dans l’histoire de l’humanité – s’agrandit sans recours à la violence. Empruntant cette opposition à Gilles Deleuze, Teresa Pullano montre comment dans cet espace quasi étatique « lisse », unifié et homogène se construit une citoyenneté européenne qui doit composer avec un territoire « strié », fractionné et hiérarchisé.
La thèse de Teresa Pullano, chercheur italienne passée par les universités de Rome, Columbia, Paris et Bruxelles, traite de la citoyenneté européenne sous l’angle de la philosophie du droit. Il s’agit d’une tentative ambitieuse et ardue de penser la citoyenneté hors du cadre traditionnel de l’État-nation, dans les frontières confortables duquel la définition de la citoyenneté ne pose guère de problème. Mais la construction européenne complique cette typologie traditionnelle. Comme l’annonce dans sa préface Jean-Marie Donegani, qui co-dirigea la thèse de Teresa Pullano à l’Institut d’études politiques de Paris, « l’enjeu théorique de cette recherche est donc la possibilité de penser une citoyenneté qui soit politique tout en étant dépourvue de tout ce qui traditionnellement définit l’unité politique et le sujet politique » (p. 15).
Deux modalités d’articulation entre la citoyenneté européenne et les citoyennetés nationales sont proposées. La première s’inscrit sous le sceau de la complémentarité ; la seconde, inspirée notamment du patriotisme constitutionnel de Jürgen Habermas, sous celui du dépassement. L’une et l’autre ont le défaut de poser la citoyenneté nationale comme « mètre étalon » (p. 64). Teresa Pullano ne s’en satisfait pas. Raisonnant à partir de la méthode des « opérations de droit », développée par l’anthropologue du droit romain Yan Thomas, c’est-à-dire des agencements concrets que le droit produit, l’auteur identifie une « continuité dans la discontinuité » entre les citoyennetés stato-nationales et la citoyenneté européenne. Car l’émergence de la citoyenneté européenne ne se limite pas à produire une lente homogénéisation des statuts citoyens ; elle engendre simultanément et paradoxalement des différences de statut : différences dans le temps – liées par exemple aux mesures transitoires appliquées aux droits des citoyens des nouveaux États membres – ou dans l’espace – le droit applicable aux régions ultra-périphériques et aux pays et territoires d’outre-mer.
Teresa Pullano ose un parallèle audacieux entre ces droits hiérarchisés et le droit de la citoyenneté à l’époque coloniale. On la suivra difficilement dans cette voie-là. En revanche, on ne peut qu’être sensible à son souci de re-territorialiser le projet européen. Le territoire est, en effet, un refoulé de l’intégration européenne : il n’y est fait quasiment aucune mention dans les traités européens. On lui préfère le terme d’espace : espace de libre circulation, espace Schengen, espace de liberté, de sécurité et de justice. Or, l’Union européenne a bien un territoire qui – fait quasi-unique dans l’histoire de l’humanité – s’agrandit sans recours à la violence. Empruntant cette opposition à Gilles Deleuze, Teresa Pullano montre comment dans cet espace quasi étatique « lisse », unifié et homogène se construit une citoyenneté européenne qui doit composer avec un territoire « strié », fractionné et hiérarchisé.