La bombe. L’univers opaque du nucléaire
Jean-Marie Collin Paris, Autrement, 2009
Le monde des armes nucléaires reste encore peu connu du grand public, qui confond d’ailleurs encore souvent énergie nucléaire et armes de destruction massive. De multiples sondages rappellent, ça et là, la méconnaissance du nombre de puissances nucléaires militaires, du nombre d’utilisations de la bombe atomique depuis 1945, ou encore de la réalité des arsenaux. Cet univers volontairement opaque n’en est pas moins particulièrement actif, et joue un rôle de premier plan dans les relations internationales.
Dans un ouvrage qui s’inscrit délibérément en faveur du désarmement nucléaire, Jean-Marie Collin décrypte le monde nucléaire. Sont ainsi étudiées les neuf puissances nucléaires que compte la planète, celles reconnues par le Traité de non-prolifération (TNP) et celles qui ne le sont pas, leurs stratégies d’emploi et de non-emploi, et l’état de leurs arsenaux. On y découvre ainsi que le nucléaire reste un élément majeur de la définition de la puissance de ceux qui en maitrisent la technologie. Jean-Marie Collin passe également en revue les multiples dispositifs, traités et autres groupes de travail, le plus souvent inconnus du grand public, qui depuis la Guerre froide tentent de réduire les risques d’utilisation et de dissémination de ces engins de mort. Entre contrôle des armements et désarmement, la liste est longue, sans cesse réactualisée et rediscutée, comme elle le sera en 2010 à l’occasion de la conférence d’examen du TNP.
On pourrait parfois reprocher à cet ouvrage de dresser un catalogue certes complet, mais qui se refuse à des analyses plus poussées des comportements qui se cachent derrière les politiques nucléaires. Ainsi, la question des motifs justifiant la prolifération de certains États n’est pas évoquée. Pourquoi en effet certains régimes choisissent-ils de se mettre en marge de la communauté internationale pour chercher à acquérir une arme dont l’emploi reste plus qu’hypothétique ? Pourquoi tous les traités, et leur mise en application, notamment par le biais des régimes de sanctions, ne suffisent pas à dissuader les proliférants ? L’argument du prestige que confère l’arme nucléaire, souvent légitimement évoqué, ne semble cependant pas suffire pour expliquer à lui seul de tels comportements. Et comme l’emploi reste hypothétique comme nous l’avons vu, ne faut-il pas s’interroger sur la perception d’un déséquilibre que le plus faible, le qualifiant d’injuste, chercherait à réduire en accédant grâce à une arme d’une puissance exceptionnelle à un statut totalement disproportionné ? Là serait le « dogme » nucléaire, que l’auteur évoque justement dans le cas de grandes puissances résolues à ne pas se séparer d’une arme qui leur offre un avantage décisif sur les autres pays. Mais là est également le moteur de la prolifération, qui touche un grand nombre de candidats, États ou groupes non étatiques.
L’arme nucléaire reste, selon les propos d’Albert Camus dès 1945, le « dernier degré de sauvagerie ». Avec les évolutions technologiques, son utilisation pourrait supposer la fin des civilisations, et la destruction de la planète. Aussi est-il nécessaire dans toute réflexion sur le nucléaire de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une arme comme les autres, et qu’elle doit être traitée en conséquence. C’est pourquoi J.-M. Collin termine son ouvrage par un chapitre inquiétant sur l’heure H+1, une fois que l’apocalypse nucléaire aura sonné. L’humanité se sera-t-elle suicidée ? Les bunkers auront-ils protégé une poignée de survivants ? Quelles armes auront-été utilisées, et avec quels types d’effets ? Des questions essentielles qu’il convient de poser sans cesse, afin de ne jamais banaliser l’insupportable.