Publications
Note de lecture

Known & Unknown : A Memoire

Jean-Loup Samaan

Donald Rusmfeld Sentinel, New-York, 2011, 832 p.

Donald Rumsfeld est probablement l’une des figures politiques américaines les plus controversées de l’après Guerre froide. Fréquemment dépeint comme le responsable principal de l’embourbement de l’armée américaine en Irak de 2003 à 2006, certains le présentent comme le plus brillant Secrétaire à la Défense de l’histoire des États-Unis[1]; tandis que d’autres voient en lui le pire dirigeant que le Pentagone ait jamais connu. La parution de ses Mémoires n’a donc pas manqué d’entraîner de vives réactions.

Dans une première partie de l’ouvrage, Rumsfeld retrace avec minutie son apprentissage politique dans l’Amérique des années cinquante. Ce segment sur « Rumsfeld le parlementaire » est suivi d’un second sur « Rumsfeld le bureaucrate » durant les présidences de Nixon et Ford. La période est fascinante : elle permet de revenir sur le talent de Rumsfeld à manœuvrer au sein des appareils d’État. Même s’il minimise les événements, il arrive tout de même à réduire le portefeuille du tout-puissant Henry Kissinger au Département d’État et à neutraliser politiquement George H. Bush en reléguant ce dernier au poste de directeur de la CIA[2].

Après une période dédiée à son activité de chef d’entreprise d’une industrie pharmaceutique, Rumsfeld ne cache pas son propre étonnement à se voir réapparaître au premier plan de la scène politique en décembre 2000, lorsque George W. Bush le nomme Secrétaire à la Défense. La situation est effectivement surprenante : l’homme a quitté les arcanes gouvernementales vingt-trois ans plus tôt et se trouve, en plus, être un vieil ennemi politique du père du président alors en place.

La dernière, et plus importante, partie de l’ouvrage est consacrée à la politique conduite par l’administration Bush suite au 11-Septembre. Rumsfeld n’hésite pas à régler ses comptes avec ses anciens collègues : Condoleeza Rice, Colin Powell, Paul Bremer, ainsi que les généraux en charge de la période post-conflit en Irak (Ricardo Sanchez, George Jr. Casey) qui sont, eux aussi, renvoyés à leurs erreurs de jugement à propos de l’évolution de la situation sur le théâtre des opérations.

A la fin de l’ouvrage, le lecteur a la sensation persistante de lire un plaidoyer, par moment caricatural. Néanmoins, si cette question des responsabilités dans les échecs de l’administration Bush est une véritable préoccupation, considérer des Mémoires autrement que comme la mise en récit d’un homme politique préoccupé par sa postérité serait une erreur méthodologique primaire : l’ouvrage reste un exercice classique d’autobiographie politique.

Au-delà de cette controverse, Known & Unknown fournit quelques pistes de recherche passionnantes. Tout d’abord, sur la relation entre Rumsfeld et les néoconservateurs : Rumsfeld s’est toujours décrit comme un réaliste pour qui l’opération Iraqi Freedom poursuivait avant tout un objectif sécuritaire. Par conséquent, il reproche à la Maison Blanche d’y avoir ajouté l’ambition de démocratisation de l’Irak, cependant, le terme même de néoconservatisme n’est pas une seule fois évoqué sur les quelque 800 pages que compte le volume.

Deuxième piste à explorer : « l’irakisation » de la politique étrangère et de défense américaine de 2003 à 2006. Les deux tiers de l’ouvrage sont presque exclusivement dédiés à l’enlisement en Irak. Quelle est donc la pertinence du renvoi de responsabilités vers les autres membres de l’administration ? En d’autres termes, si ce fut la faute des personnes au-dessus ou en-dessous, que faisait Rumsfeld durant toutes ces années ?

L’ouvrage permet également de saisir à quel point la guerre en Irak a fait diversion sur les autres grands dossiers stratégiques du Pentagone en premier lieu l’Afghanistan et, ironie du sort, le dossier sur la prolifération des armes de destruction massive. Cette « irakisation » de la politique américaine de 2003 à 2008 est ainsi mise en avant tout au long des derniers chapitres des Mémoires. Et si elle ne clôt pas le débat sur la postérité de Rumsfeld, elle s’interroge sur ce que représentera dans quelques années cette sombre période de l’histoire américaine : une sinistre parenthèse stratégique ou la première étape d’une érosion de la puissance militaire des États-Unis.




[1] Cf. par exemple Caitlin Talmadge, "Transforming the Pentagon: McNamara, Rumsfeld and the Politics of Change", Breakthroughs, printemps 2006, 15 (1), pp. 12-21.


[2] Malgré les témoignages ultérieurs de George H. Bush et Gerald Ford, Rumsfeld conteste son implication dans de telles « manœuvres » (p.199 et suivantes).


Les autres notes de lecture
Sauvons le Progrès
Physicien nucléaire – il dirige un laboratoire au sein du Commissariat à l’énergie...
Staline
Il n’est pas évident de susciter un grand intérêt pour une énième...
Realpolitik: A History
Au fil des événements et des périodes historiques, le mot « realpolitik » a...
Éloge du compromis
Éloge du compromis est un titre séduisant par les temps qui courent....
L’ordre du monde
On repose le dernier livre d’Henry Kissinger avec deux sentiments contradictoires : l’admiration...
La fin de l’Europe ?
L’ouvrage arrive à point nommé pour reconsidérer les véritables raisons de la...
Le monde au défi
Hubert Védrine occupe dans le paysage intellectuel français une place à part....
Que veut Poutine ?
Ancien élève de l’ENA et du MGIMO (Institut d’État de relations internationales...
Hollande l’Africain
Journaliste à RFI et collaborateur de l’hebdomadaire Jeune Afrique, Christophe Boisbouvier présente...
Le boycott
Appel au boycott des Jeux olympiques de Sotchi, de produits français (vin,...
La France au défi
« Réformisme radical », cette expression empruntée à Albert Camus pourrait résumer l’intention de...
Mali
La maison d’édition De Boeck a initié depuis 2013 une collection intitulée...
La dynastie rouge
La Corée du Nord effraie autant qu’elle fascine. Les clichés font florès...
Dear Leader
Dans un régime aussi fermé et mystérieux que celui de la Corée...
Justifier la guerre ?
Pierre Hassner, chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI)...
Willy Brandt
Willy Brandt, premier chancelier allemand social-démocrate (1969- 1974), est connu pour deux...
Le roi prédateur
Les deux journalistes, Eric Laurent (auteur des mémoires d’Hassan II) et Catherine Graciet s’aventurent à...
Le bilan d’Obama.
Pariant sur l’intérêt que susciteront les élections du 6 novembre 2012, les...
Repenser l’économie.
Les lauréats du Prix du meilleur jeune économiste, décerné par Le Monde / Cercle...
Tripoliwood
Delphine Minoui, grand reporter spécialiste du Moyen-Orient lauréate du Prix Albert Londres,...
Pour une Europe juste
En janvier 2011, Élisabeth Guigou présentait sa vision de l’Europe dans un nouvel...
Vivre libre
Le 17 décembre 2010, Mohammed Bouazizi, jeune vendeur de fruits et légumes tunisien de vingt-huit...
Les Coréens
Agrégé d’histoire, ancien de l’ENA, actuellement directeur adjoint de l’Institut des sciences...
Pour l’humour du risque
Sommes-nous en sécurité ? Connaissons-nous les risques qui nous guettent ? Les politiques, lois...
Le monde selon Obama
Deux sentiments ont accompagné, en Europe, la victoire d’Obama. Le premier fut...
Réinventer l’Occident
Autrefois impérialiste et conquérant, l’Occident se sent aujourd’hui impuissant. En effet, dans...
Guerres inutiles ?
 Depuis le début du siècle les armées occidentales sont de nouveau confrontées...
Pour une gouvernance mondiale
 À l’occasion des Journées de l’économie, Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Échos, a interrogé cinq...
Obama’s Wars
Depuis son rôle dans la révélation de l’affaire du Watergate, Bob Woodward...
Pour la prochaine gauche
En publiant Pour la prochaine gauche, Michel Wieviorka poursuivait un objectif affiché :...
Chroniques du Darfour
Jérôme Tubiana publie aux éditions Glenat, en partenariat avec Amnesty International, ses...
Contrôler les armes
Avec cet ouvrage, Amnesty International réussit le tour de force d’expliquer le...
La Revanche du Sud
Ce temps d'un « Occident qui écrit quand l'Orient, lui, est décrit » est...
Le Temps de l’Afrique
Jean-Michel Sévérino est une personnalité atypique. Tandis que ses camarades de promotion...
Atlas de l’agriculture
Ambitieux, l’Atlas de l’agriculture cherche, comme l’indique son sous-titre, à répondre à...
Mémoires
Il fallait bien 800 pages à Tony Blair, pour évoquer les dix années...
La fabrique de nos peurs
Épidémie, inondation, famine, déplacement de population, nucléaire, pollution etc., chaque semaine, les...
Le Mexique de A à Z
 Patrice Gouy publie un nouvel ouvrage consacré au Mexique, pays qu’il parcourt...
L’Afrique en face
Les journalistes français spécialisés sur l’Afrique se comptent sur les doigts d’une...
Iran, l’état de crise
Alors que de nouvelles sanctions à l’encontre l’Iran sont régulièrement évoquées dans...
Les Arabes et la Shoah
Gilbert Achcar, enseignant-chercheur à l’Université de Londres, publie chez Actes Sud Les...
Le retour des talibans
Depuis les attentats du 11-Septembre, et l’occupation de l’Afghanistan par les forces...
Le multiculturalisme
Maître de conférences à l’Université de Paris IV et président de l’...
Shanghai-Paris
Rompant avec une vision mythologique de la capitale de l’Orient du temps...
La guerre économique
Notion décriée, la guerre économique méritait bien qu’un ouvrage lui soit dédiée....
Nourrir les hommes
 D’ici à 2050, l’humanité va voir sa population croître de 3 milliards d’âmes supplémentaires....
Vivre autrement
 « Nous avons une chance historique. Inventer, sous la contrainte de la crise...
Visages de la peur
 De plus en plus, la peur semble diriger les comportements individuels et...
Demain la faim
 La fiction qui ouvre ce livre met en scène un conflit né...
La mondialisation
Ce petit manuel est un guide intéressant pour qui veut clarifier ses...
Mitterrand l’Africain?
Les ouvrages sur François Mitterrand et l’Afrique sont nombreux (Attali, Bayart, Bourgi,...
Achever Clausewitz
Achever Clausewitz, comme pour se débarrasser définitivement des thèses du général prussien...
La Russie
Ayant consacré sa thèse d’Etat à l’étude de la région caucasienne, Pierre...
L’Afrique humiliée
L’on connaît les cris de colère d’Aminata Traoré, ancienne ministre de la...