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James Bond dans le spectre géopolitique
Par Jean-Antoine Duprat - Paris, L'esprit du temps, 2015, 274p.
La sortie du 24e épisode de la saga James Bond a été l’occasion d’une intense activité éditoriale. Sur les étals des libraires, on a vu fleurir des ouvrages consacrés à la « panoplie bondienne » : ses voitures, ses montres et, bien sûr, ses « girls ». L’ouvrage de Jean-Antoine Duprat semblait, à première vue, moins trivial.
Avant d’être un héros de cinéma, James Bond fut un personnage de roman. Ian Fleming, pur produit de l’intelligentsia britannique, travailla pour les services de renseignement de la Royal Navy avant de se consacrer à l’écriture. Les douze romans et deux recueils de nouvelles qui mettent en scène l’agent 007 connurent un succès immédiat. Écrits entre 1952 et 1964, ils étaient marqués par l’esprit de leur temps. James Bond opérait en pleine guerre froide et défendait les valeurs de l’Occident face à l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et à ses suppôts. Dans les romans de Ian Fleming, l’ennemi était le SMERSH, une branche de l’Armée rouge en charge du contreespionnage officiellement dissoute en mai 1946. Dans les films, le SMERSH fut remplacé par l’organisation terroriste SPECTRE, dirigée par le sinistre Ernst Stavro Blofeld, dont les liens avec l’URSS n’étaient pas évoqués.
Volonté de ménager l’Union soviétique, voire sympathie communiste des producteurs, Albert Broccoli et Harry Saltzman ? Certainement pas. Souci de ne pas se fermer de potentiels marchés ? C’est plus probable. Prescience de la détente ? Peut-être. Il s’agissait en tout cas moins, pour James Bond, de défaire l’ennemi soviétique que de déjouer les plans machiavéliques du SMERSH / SPECTRE complotant pour pousser les deux Supergrands au conflit. Pour ce faire, il devait plus souvent qu’à son tour collaborer avec des agents soviétiques : Tatiana Romanova dans Bons baisers de Russie, Anya Amasova dans L’espion qui m’aimait.
Parce que James Bond ne se réduisait pas à la guerre froide, il survivra à la chute du mur de Berlin – même s’il fallut attendre six années, et le recrutement d’un nouvel acteur, la sortie de GoldenEye en 1995. La filiation avec Ian Fleming est toujours revendiquée – GoldenEye était le nom de sa propriété en Jamaïque où il écrivait ses romans –, mais le contexte géopolitique a bien changé. Le générique annonce la couleur : des silhouettes féminines dénudées détruisent à coup de barres de fer des statues de Lénine. Le chef de James Bond a lui aussi changé : le MI6 a désormais à sa tête une femme – quelques années plus tôt, c’est le contre-espionnage britannique, le MI5, qui avait promu une femme à sa direction. Et l’enjeu a évolué : un syndicat du crime tente d’utiliser un satellite russe contre Londres afin de provoquer une crise financière mondiale.
Avec la fin de la guerre froide, la menace est donc devenue diffuse et les ennemis protéiformes. Dans Demain ne meurt jamais, Elliot Carver est un magnat de la presse qui pousse la Chine et les États-Unis à s’affronter en mer de Chine méridionale. Dans Le monde ne suffit pas, Elektra King est à la tête d’une compagnie pétrolière possédant des intérêts dans la construction d’un oléoduc reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie. Dans Skyfall, Silva est un cyber-terroriste qui planifie des attentats sur Londres.
« Miroir de son temps », selon le vœu de Ian Fleming, James Bond reste inaltérablement britannique. Par son flegme mais aussi par l’identité des acteurs qui l’ont incarné à l’écran et des réalisateurs qui en ont signé les adaptations : même si Pierce Brosnan était Irlandais, Martin Campbell et Lee Tamahori Néo-Zélandais, il est significatif qu’aucun d’eux n’ait jamais été Américain.
Avant d’être un héros de cinéma, James Bond fut un personnage de roman. Ian Fleming, pur produit de l’intelligentsia britannique, travailla pour les services de renseignement de la Royal Navy avant de se consacrer à l’écriture. Les douze romans et deux recueils de nouvelles qui mettent en scène l’agent 007 connurent un succès immédiat. Écrits entre 1952 et 1964, ils étaient marqués par l’esprit de leur temps. James Bond opérait en pleine guerre froide et défendait les valeurs de l’Occident face à l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et à ses suppôts. Dans les romans de Ian Fleming, l’ennemi était le SMERSH, une branche de l’Armée rouge en charge du contreespionnage officiellement dissoute en mai 1946. Dans les films, le SMERSH fut remplacé par l’organisation terroriste SPECTRE, dirigée par le sinistre Ernst Stavro Blofeld, dont les liens avec l’URSS n’étaient pas évoqués.
Volonté de ménager l’Union soviétique, voire sympathie communiste des producteurs, Albert Broccoli et Harry Saltzman ? Certainement pas. Souci de ne pas se fermer de potentiels marchés ? C’est plus probable. Prescience de la détente ? Peut-être. Il s’agissait en tout cas moins, pour James Bond, de défaire l’ennemi soviétique que de déjouer les plans machiavéliques du SMERSH / SPECTRE complotant pour pousser les deux Supergrands au conflit. Pour ce faire, il devait plus souvent qu’à son tour collaborer avec des agents soviétiques : Tatiana Romanova dans Bons baisers de Russie, Anya Amasova dans L’espion qui m’aimait.
Parce que James Bond ne se réduisait pas à la guerre froide, il survivra à la chute du mur de Berlin – même s’il fallut attendre six années, et le recrutement d’un nouvel acteur, la sortie de GoldenEye en 1995. La filiation avec Ian Fleming est toujours revendiquée – GoldenEye était le nom de sa propriété en Jamaïque où il écrivait ses romans –, mais le contexte géopolitique a bien changé. Le générique annonce la couleur : des silhouettes féminines dénudées détruisent à coup de barres de fer des statues de Lénine. Le chef de James Bond a lui aussi changé : le MI6 a désormais à sa tête une femme – quelques années plus tôt, c’est le contre-espionnage britannique, le MI5, qui avait promu une femme à sa direction. Et l’enjeu a évolué : un syndicat du crime tente d’utiliser un satellite russe contre Londres afin de provoquer une crise financière mondiale.
Avec la fin de la guerre froide, la menace est donc devenue diffuse et les ennemis protéiformes. Dans Demain ne meurt jamais, Elliot Carver est un magnat de la presse qui pousse la Chine et les États-Unis à s’affronter en mer de Chine méridionale. Dans Le monde ne suffit pas, Elektra King est à la tête d’une compagnie pétrolière possédant des intérêts dans la construction d’un oléoduc reliant l’Azerbaïdjan à la Turquie. Dans Skyfall, Silva est un cyber-terroriste qui planifie des attentats sur Londres.
« Miroir de son temps », selon le vœu de Ian Fleming, James Bond reste inaltérablement britannique. Par son flegme mais aussi par l’identité des acteurs qui l’ont incarné à l’écran et des réalisateurs qui en ont signé les adaptations : même si Pierce Brosnan était Irlandais, Martin Campbell et Lee Tamahori Néo-Zélandais, il est significatif qu’aucun d’eux n’ait jamais été Américain.