Avec ses violences récurrentes et la puissance des référents identitaires qui continuent à l'accompagner, il est normal que l'histoire des relations israélo-arabes telle continue à être interprétée différemment par chacun de ses protagonistes. Néanmoins, à cette opposition de fait entre Israéliens d'un côté, Palestiniens et Arabes de l'autre, est venu se superposer un élément nouveau. En effet, quarante ans après la création de l'État d'Israël un mouvement de chercheurs, plus connu aujourd'hui sous le nom de « Nouveaux historiens », a jeté un éclairage largement en rupture avec la « version officielle israélienne » sur l'origine de l'État. Loin de son statut apparent d'État victime des politiques de son environnement, Israël se voyait ainsi contredit, faits et archives à l'appui, par ces chercheurs israéliens, qui mettaient en exergue son occultation de ses comportements vis-à-vis des Palestiniens dans les années qui ont suivi sa création.
Une vingtaine d'années plus tard, et alors que l'État hébreu vient de célébrer ses six décennies d'existence, force est de constater que le pays demeure bien loin d'avoir fait le bilan de sa jeune histoire. Certes, les particularités officieuses qui ont participé des évolutions d'Israël ne sont pas toutes connues, les archives israéliennes relatives à la fin des années 1940 n'ayant pas été déclassifiées dans leur intégralité. Néanmoins, on ne peut que constater que ce type de célébration aurait pu être l'occasion d'insister notamment sur le caractère fondamental des découvertes faites par les « Nouveaux historiens » israéliens. Car, comme le suggère très clairement le titre de l'ouvrage de Sébastien Boussois, Israël a, avec ce type de révélations, connu un pas supplémentaire vers la confrontation à son passé. Ce n'est ainsi pas le moindre des mérites de ce livre que d'esquisser, de manière pédagogique, claire, et détaillée, les principaux faits qui ont permis à l'État hébreu de connaître des évolutions qui, aussi peu perceptibles puissent-elles parfois paraître, n'en sont pas moins très significatives.
Des nuances qu'il convient d'apporter à des termes tels que « sionisme », « post-sionisme », « antisionisme » ou « a-sionisme », au statut compliqué qui s'impose aux intellectuels vivant en Israël, en passant par les ressorts concrets de la société israélienne, l'auteur nous propose une introspection au cœur de la société israélienne, avec pour fil rouge le questionnement des motifs pour lesquels les révélations des « Nouveaux historiens » israéliens ont tant de mal à s'imposer. Démarche fondamentale bien entendu, puisque l'importance qu'accordent les citoyens juifs de cet État à maintenir intacts les motifs de légitimation de l'existence de l'État d'Israël peut s'avérer source de blocage pour quiconque chercherait à (re)situer l'histoire de l'État hébreu à la lumière due violences qui auraient été faites de sa part à « l'Autre ». Le tout sans oublier que la Shoah constitue un facteur de blocage supplémentaire pour une population qui semble ne pas réussir à concilier reconnaissance des particularités de son histoire nationale et modalités d'inscription dans l'avenir.
En parallèle cependant, et c'est là l'un des autres apports fondamentaux de l'ouvrage de S. Boussois, cela ne veut en rien dire que la société israélienne serait restée arc-boutée sur un déni total d'éléments constitutifs de son histoire. Sur le plan cinématographique et télévisuel, les productions basées, même indirectement, sur des découvertes faites par les « nouveaux historiens » ont connu une particularité triple, à savoir : absence de provocation de remous dans la société israélienne, réalisation de très bons scores d'audience, et diffusion par des chaînes de télévision publiques. Un indicateur, parmi d'autres, que l'interprétation par la société israélienne de son passé est loin d'être restée figée à travers l'histoire ; S. Boussois rappelant très bien à ce titre que ces diffusions intervenues à la fin des années 1990 n'auraient pas été possibles vingt ans plus tôt.
Certes, les motifs de blocage post-sioniste en Israël n'en restent pas moins d'actualité. Mais dans le même temps, le débat demeure présent et extrêmement riche dans le pays. L'ouvrage de S. Boussois, avec son retour sur une période et des faits qui ne manqueront probablement pas d'être considérés à l'avenir comme la « longue phase de rupture » de la société israélienne avec ses mythes fondateurs, s'avère à ce titre fondamental pour une relativisation réaliste des logiques sociales de l'État hébreu, et la différenciation entre ce que l'on croit souvent savoir de cet État... et ce qu'il est réellement.