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Islam, à la reconquête du sens
Par Reda Benkirane - Paris, Éditions Le Pommier, coll. "Essai", 2017, 509p.
L’entreprise hardie de Reda Benkirane contribue à démontrer la possibilité d’un islam moderne qui démentirait les accusations de son immobilisme forcé par une théologie antirationnelle et autoritaire, et qui invaliderait la lecture normative et simplificatrice du texte sacré. La thèse de cet ouvrage savant repose sur le principe que le Coran n’est pas une loi réalisant un programme, mais une « guidance pour réaliser un projet » (p. 18) humain et spirituellement inspiré. La reconquête du sens passe donc par le basculement de la lecture.
En premier lieu, cette normalisation desséchante est un processus historique. L’enfermement dans une exégèse obligatoire et figée a provoqué, dans le monde musulman, un manque de repères aggravant la crise d’identité et la perte de sens face à une modernité occidentale triomphante. La tentative salafiste originelle, qui pointe à la fin du XIXe siècle pour renouveler la spiritualité musulmane, s’achève dans une « théologie de marché » qui privilégie l’expression d’une religion matérialiste et formaliste, simplifiée et écrasant les subtilités et le caractère équivoque de la révélation au profit d’un dogme propre à lutter contre l’anxiété de la perte de repères. Ainsi, le fondamentalisme salafiste débouche sur une sécularisation paradoxale, en réduisant la religion essentiellement à un projet politique s’exprimant d’abord par quelques rites sommaires, et rendant l’islam incapable de « percevoir, en tant que saisie globale et immédiate, la réalité complexe et multidimensionnelle de notre temps » (p. 137).
La deuxième partie de l’ouvrage offre des développements ardus qui cherchent à montrer la difficulté, pour l’islam, de saisir la complexité des sciences exactes, tout en montrant les atouts de cette pensée dans le changement de paradigme actuel les concernant. « L’Islam de sortie » doit « réinstaurer la primauté de l’esprit dans la production de sens au sein du plus grand nombre » (p. 137).
C’est par une prise de conscience de la nature de la révélation coranique (troisième partie) que celle-ci peut advenir. Loin d’être un programme délivré une bonne fois pour toutes dans un texte univoque, la révélation faite à Mahomet est une « révélation intermittente » (Jacques Berque), délivrée par flux discontinus et de manière désordonnée, produisant en définitive un livre d’une grande complexité, aux niveaux de compréhension multiples : « rien dans le Coran ne procède d’une unité thématique ou temporelle, d’une chronologie linéaire, d’une marche unilinéaire » (p. 327). Ainsi, contrairement aux détracteurs de l’islam, celui-ci nécessite un engagement intellectuel exigeant qui ne saurait s’arrêter au texte apparent, à tel point qu’un penseur comme Averroès considérait qu’il n’était pas possible de faire accéder certains niveaux de compréhension à la masse, et que seuls certains esprits pouvaient parvenir à cette science. Or, la grande force du salafisme postmoderne est de faire croire que tout le monde peut devenir un docteur de la foi et accéder au savoir. Défiguré par le milieu sociologique et historique dans lequel il a été plongé, l’islam est soupçonné d’être le terreau de régimes autoritaires, de sociétés patriarcales obsédées par la généalogie, la communauté et la séparation du pur et de l’impur. Il n’en est rien, assure l’auteur, et il faut désormais œuvrer pour que la pensée islamique soit une force d’innovation en prise avec son temps.
En premier lieu, cette normalisation desséchante est un processus historique. L’enfermement dans une exégèse obligatoire et figée a provoqué, dans le monde musulman, un manque de repères aggravant la crise d’identité et la perte de sens face à une modernité occidentale triomphante. La tentative salafiste originelle, qui pointe à la fin du XIXe siècle pour renouveler la spiritualité musulmane, s’achève dans une « théologie de marché » qui privilégie l’expression d’une religion matérialiste et formaliste, simplifiée et écrasant les subtilités et le caractère équivoque de la révélation au profit d’un dogme propre à lutter contre l’anxiété de la perte de repères. Ainsi, le fondamentalisme salafiste débouche sur une sécularisation paradoxale, en réduisant la religion essentiellement à un projet politique s’exprimant d’abord par quelques rites sommaires, et rendant l’islam incapable de « percevoir, en tant que saisie globale et immédiate, la réalité complexe et multidimensionnelle de notre temps » (p. 137).
La deuxième partie de l’ouvrage offre des développements ardus qui cherchent à montrer la difficulté, pour l’islam, de saisir la complexité des sciences exactes, tout en montrant les atouts de cette pensée dans le changement de paradigme actuel les concernant. « L’Islam de sortie » doit « réinstaurer la primauté de l’esprit dans la production de sens au sein du plus grand nombre » (p. 137).
C’est par une prise de conscience de la nature de la révélation coranique (troisième partie) que celle-ci peut advenir. Loin d’être un programme délivré une bonne fois pour toutes dans un texte univoque, la révélation faite à Mahomet est une « révélation intermittente » (Jacques Berque), délivrée par flux discontinus et de manière désordonnée, produisant en définitive un livre d’une grande complexité, aux niveaux de compréhension multiples : « rien dans le Coran ne procède d’une unité thématique ou temporelle, d’une chronologie linéaire, d’une marche unilinéaire » (p. 327). Ainsi, contrairement aux détracteurs de l’islam, celui-ci nécessite un engagement intellectuel exigeant qui ne saurait s’arrêter au texte apparent, à tel point qu’un penseur comme Averroès considérait qu’il n’était pas possible de faire accéder certains niveaux de compréhension à la masse, et que seuls certains esprits pouvaient parvenir à cette science. Or, la grande force du salafisme postmoderne est de faire croire que tout le monde peut devenir un docteur de la foi et accéder au savoir. Défiguré par le milieu sociologique et historique dans lequel il a été plongé, l’islam est soupçonné d’être le terreau de régimes autoritaires, de sociétés patriarcales obsédées par la généalogie, la communauté et la séparation du pur et de l’impur. Il n’en est rien, assure l’auteur, et il faut désormais œuvrer pour que la pensée islamique soit une force d’innovation en prise avec son temps.