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Iran. La Révolte verte. La fin de l’islam politique ?
Ahmad Salamatian et Sara Daniel Paris, Éditions Delavilla, 2010, 272 p.
Que s’est-il passé à Téhéran en juin 2009 ? Qui sont les partisans de Mir Houssein Moussavi, le candidat réformateur à l’élection présidentielle ? Comment le président sortant Mahmoud Ahmadinejad a-t-il réussi à être réélu ? Le pouvoir est-il en train d’échapper aux mollahs ? La « révolution verte » sonne-t-elle le glas de l’islam politique ?
On pouvait craindre que le livre d’entretien de Ahmad Salamatian, grande figure de la diaspora iranienne à Paris, et de Sara Daniel soit un ouvrage à charge, stigmatisant le pouvoir en place et exaltant le mouvement réformateur. La bonne surprise est que, sans cacher ses sympathies, cet ouvrage très documenté présente avec une remarquable objectivité la situation qui prévaut aujourd’hui en Iran.
Le livre tourne autour de l’élection présidentielle du 12 juin 2009. Il consacre un chapitre particulièrement éclairant au paradoxe d’une théocratie dont la vie politique est rythmée par le vote démocratique. Il montre plus encore comment les autorités avaient entendu court-circuiter la contestation en écourtant la campagne officielle et en restreignant le nombre de candidats (dont la liste est validée par l’influent Conseil des Gardiens de la Constitution), comment elles ont interrompu tous les systèmes de communication téléphonique et électronique dans la nuit du 11 au 12, comment elles ont dans la hâte proclamé des résultats sans rapport avec ce que les sondages officieux laissaient augurer, avec quelle dureté enfin elles ont réprimé les manifestations populaires des « Verts ».
Mahmoud Ahmadinejad avait emporté le scrutin de 2005 en capitalisant sur l’insatisfaction de l’électorat contre la corruption qui gangrène le pouvoir iranien. Au pouvoir depuis quatre ans, il ne pouvait plus utiliser la même rhétorique en 2009. Les espoirs de réforme se sont déplacés vers deux autres candidats : Mehdi Karoubi, surnommé le « mollah rouge » pour sa proximité avec les mouvements marxistes pendant les années 1960 et 1970 et surtout Mir Hossein Moussavi, un ancien Premier ministre de l’imam Khomeiny qui, malgré sa participation active aux pires heures du khomeinysme, est devenu l’égérie de la révolution verte. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de vieux compagnons de route du fondateur de la République islamiste, entrés en disgrâce depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau Guide suprême, Ali Khamenei, en 1989. Ils incarnent l’alternance, pas nécessairement la révolution : une résistance thermidorienne[1] à une dérive militariste du tandem Khamenei-Ahmadinejad moins qu’un renversement de l’islam politique mis en place en 1979.
Ahmad Salamatian n’y insiste peut-être pas assez mais cette divergence entre la foule des contestataires et l’agenda politique de ses représentants organisés autour d’un axe Khatami-Moussavi-Karoubi obscurcit les perspectives de la contestation. Le problème n’est pas propre à l’Iran : on le rencontre aujourd’hui en Tunisie et en Égypte. La « génération Facebook », jeune, urbaine, éduquée, avide d’ouverture sur le monde, est en colère. Elle ne supporte plus un pouvoir paranoïaque, oppressif, corrompu, où, selon l’image forte du livre « les képis ont remplacé les turbans » (p. 179). Mais quelle alternative lui opposer ?
[1] Par référence à l’article fondateur de Jean-François Bayart « Thermidor en Iran » Politique étrangère, automne 1991, p. 701-714.