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Il faut supprimer l’armée française
Pierre-Marie Guillon Dangles, Collection Prospective, 2010, 227 p.
Voilà un livre qui fera parler de lui et de son auteur…si l’on ose bien sûr aller au-delà des soupirs moqueurs et rires narquois suscités par le titre ! Pacifiste, anarchiste, militant anti-nucléaire ? Absolument pas ! Bousculeur d’idées reçues ? Certainement ! Dès les premières lignes, le ton est donné : la France est le reflet de « l’obstination suicidaire de l’abeille contre la vitre ». Pas de suspens donc mais un verdict sans appel : la France est aujourd’hui victime d’une « névrose collective, héréditaire » qui la fait s’illusionner sur la configuration géostratégique du monde, sa place au sein de l’échiquier géopolitique, le rôle de protection supposé des forces armées et la centralité incontournable de l’arme atomique.
Force est de constater qu’en effet, au cours des ans, la défense a changé d’outils (évolution constante des armements), d’objet (de la défense du territoire on est passé à celle de la liberté, de l’identité culturelle et du niveau de vie) et que la guerre a changé de nature (elle est économico-culturelle et nos amis d’hier sont nos ennemis aujourd’hui). Désormais, la force d’un État n’est plus incarnée par ses forces armées mais par sa force économique et le modèle de vie attractif qu’il véhicule : plus rien ne résiste au pouvoir de l’argent, ni l’individu ni l’État. La « Bombe ultra-propre » du xxie siècle existe : elle est économique.
Même si le propos génère un malaise permanent, sème le doute parfois, indigne souvent, l’accusation de démonstration fantaisiste ne tient pas : l’étude est minutieuse, étayée de nombreux exemples et illustrée de parallèles confondants ; l’analyse géostratégique et militaire est clairvoyante tandis que l’analyse économique et culturelle est glaçante de réalisme. La conclusion est irrésistible : la stratégie française de sécurité et de défense est inadaptée aux dangers qui nous menacent. La France entretient un outil de défense devenu dangereux en raison de la Bombe, pléthorique au regard des missions confiées, et ne nous appartenant plus tout à fait étant données les dépendances diverses créées par la mondialisation et les rapports de force. La France – mais elle n’est pas la seule – se trompe de guerre et de fait accorde à un outil de défense devenu désuet des moyens économiques, financiers, matériels et humains disproportionnés. L’armée actuelle doit être réduite à l’état de force conventionnelle résiduelle suffisante pour jouer les gendarmes en opérations extérieures et payer notre tribut à l’OTAN.
Il faut reconnaître à Pierre-Marie Guillon ce mérite, cette audace – ce courage ? – de tirer et traîner le lecteur, confortablement installé dans des schémas intellectuels vieux de plusieurs siècles érigeant l’Armée en institution sacrée de la nation, hors des sentiers battus. Cet ouvrage édifie autant qu’il bouleverse : pour assurer la survie de la nation, il faut d’abord reconnaître l’affaiblissement et le dépassement que connaît la France, puis s’en servir pour créer une voie originale de développement. « La puissance n’étant plus à notre portée, il nous reste à cultiver l’excellence » : il ne s’agit de rien de moins que d’entreprendre une seconde Révolution française, c’est-à-dire un changement idéologique, intellectuel et moral qui renversera les dogmes établis et poussera la nation à se réinventer et à (ré)-investir un espace aux ressources et possibilités illimitées, celui de la sphère culturelle. Choisir cette voie, imaginer l’avenir, le forger, le recréer sans cesse, c’est affirmer une indépendance et jouir d’une souveraineté, dont les concepts diffèrent d’hier pour devenir plus durables demain. La tâche qu’il nous reste à accomplir est immense mais en réagissant dès maintenant, il est possible de façonner un nouvel avenir pour la France. Pour ce faire, les moyens économiques et humains déployés pour entretenir notre armée doivent impérativement être réaffectés sur le front économico-culturel qui se situe dans les écoles, les universités, les laboratoires et les entreprises situées sur le territoire national et en dehors.