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Histoire économique de l’Afrique tropicale
Par Jacques Brasseul - Paris, Armand Colin, coll. U, 2016, 368p.
Écrire une histoire de l’Afrique ne relève-t-il pas du défi à hauts risques ? La question se pose en lisant l’ouvrage de Jacques Brasseul, paru dans une collection de référence chez Armand Colin.
D’emblée, l’adjectif « tropicale » pour désigner l’Afrique subsaharienne pose problème tant pour un géographe que pour un économiste. Il exclut évidemment le Maghreb, mais aussi Madagascar, et ne manque pas d’interroger pour la partie australe du continent, singulièrement pour l’Afrique du Sud. Une autre interrogation se pose, peut-être plus fondamentale : peut-on aujourd’hui écrire sur l’Afrique sans faire parler les auteurs africains ? On notera, pour s’en étonner, le peu de références aux historiens originaires du continent. Cheikh Anta Diop n’a droit qu’à une très modeste mention dans le prologue. On cherche en vain les autres références pourtant incontournables, comme Joseph Ki-Zerbo, Théophile Obenga, Albert Adu Broahen Kwadwo et Elikia M’Bokolo.
Ce livre de vulgarisation résulte d’un travail de compilation et de synthèse, et non d’un travail original sur des archives et des documents de première main. Pris comme tel, il est d’une certaine utilité. Quelques passages méritent l’attention, comme la présentation des grands empires (Nubie, Aksoum, Ghana, Songhaï, Kanem-Bornou, etc.), l’exposé de la relation ancienne de l’Afrique à la Chine, dès le XVe siècle, ou le chapitre consacré au Portugal. Certaines remises en cause d’idées établies sont toujours pertinentes. On pense, par exemple, à la dénonciation par l’auteur de l’opposition souvent faite entre cultures vivrières et cultures de rente (p. 314). Celles-ci cohabitent, voire se combinent souvent, comme au Mali où le maïs se cultive à côté du coton.
Mais au-delà de ces rappels adéquats, d’autres passages laissent le lecteur insatisfait, voire interloqué. Il faut ainsi être particulièrement audacieux pour nier la gravité des conséquences économiques qu’entraînèrent les traites esclavagistes pour l’Afrique : « Il est douteux que le prélèvement humain ait retardé l’accumulation du capital en Afrique » (p. 231). La formule est malheureuse. Dans l’écriture de la traite, il y a toujours une sous-estimation des facteurs internes qui ont favorisé son déclenchement, puis son fonctionnement, et de ses conséquences sur les économies d’enclaves locales. Mais la concision de l’exposé laisse insatiable la curiosité du lecteur.
D’autres passages posent problème. L’auteur reprend largement à son compte la célèbre conception économique des processus de la décolonisation d’Antony Gerald Hopkins : la crise de la fin du XIXe siècle déclencha la conquête et le « scramble » coloniaux, puis la crise de 1929 déboucha sur la montée des nationalismes. Un tel raccourci n’apprend rien, sinon qu’il permet à l’auteur de conclure en proposant le concept d’« impérialisme humanitaire » pour caractériser le singulier mélange dans les motivations des puissances européennes : « abolir la traite et l’esclavage, pacifier le continent, faciliter la pénétration des missionnaires, éduquer et civiliser, et en même temps annexer, conquérir, asservir, réserver des sources de produits tropicaux et de matières premières, étendre son empire culturel et linguistique, se réserver des marchés pour les produits manufacturés européens » (p. 295).
La partie consacrée à la période contemporaine – les cinquante-cinq dernières années – est pour le moins frustrante – moins de dix pages. Elle s’ouvre avec la décolonisation, qui, autre formulation malheureuse, se serait faite « dans l’ensemble pacifiquement » (p. 335). Un historien kenyan ou camerounais aurait assurément un autre récit, évoquant ici la révolte de Mau Mau en pays kikuyu, là l’insurrection en pays bassa. On pense aussi aux guerres de la décolonisation portugaise.
L’exercice de la vulgarisation est assurément difficile. Chez Jacques Brasseul, le raccourci ne permet pas ni d’apprécier les « dynamiques du dedans » – chères à Georges Balandier, d’ailleurs lui aussi ignoré par l’auteur – ni d’évaluer le poids de l’héritage de l’histoire longue dans l’histoire récente, pas davantage qu’il ne permet de construire une prospective – pesanteurs, potentialités de transformation structurelle.
D’emblée, l’adjectif « tropicale » pour désigner l’Afrique subsaharienne pose problème tant pour un géographe que pour un économiste. Il exclut évidemment le Maghreb, mais aussi Madagascar, et ne manque pas d’interroger pour la partie australe du continent, singulièrement pour l’Afrique du Sud. Une autre interrogation se pose, peut-être plus fondamentale : peut-on aujourd’hui écrire sur l’Afrique sans faire parler les auteurs africains ? On notera, pour s’en étonner, le peu de références aux historiens originaires du continent. Cheikh Anta Diop n’a droit qu’à une très modeste mention dans le prologue. On cherche en vain les autres références pourtant incontournables, comme Joseph Ki-Zerbo, Théophile Obenga, Albert Adu Broahen Kwadwo et Elikia M’Bokolo.
Ce livre de vulgarisation résulte d’un travail de compilation et de synthèse, et non d’un travail original sur des archives et des documents de première main. Pris comme tel, il est d’une certaine utilité. Quelques passages méritent l’attention, comme la présentation des grands empires (Nubie, Aksoum, Ghana, Songhaï, Kanem-Bornou, etc.), l’exposé de la relation ancienne de l’Afrique à la Chine, dès le XVe siècle, ou le chapitre consacré au Portugal. Certaines remises en cause d’idées établies sont toujours pertinentes. On pense, par exemple, à la dénonciation par l’auteur de l’opposition souvent faite entre cultures vivrières et cultures de rente (p. 314). Celles-ci cohabitent, voire se combinent souvent, comme au Mali où le maïs se cultive à côté du coton.
Mais au-delà de ces rappels adéquats, d’autres passages laissent le lecteur insatisfait, voire interloqué. Il faut ainsi être particulièrement audacieux pour nier la gravité des conséquences économiques qu’entraînèrent les traites esclavagistes pour l’Afrique : « Il est douteux que le prélèvement humain ait retardé l’accumulation du capital en Afrique » (p. 231). La formule est malheureuse. Dans l’écriture de la traite, il y a toujours une sous-estimation des facteurs internes qui ont favorisé son déclenchement, puis son fonctionnement, et de ses conséquences sur les économies d’enclaves locales. Mais la concision de l’exposé laisse insatiable la curiosité du lecteur.
D’autres passages posent problème. L’auteur reprend largement à son compte la célèbre conception économique des processus de la décolonisation d’Antony Gerald Hopkins : la crise de la fin du XIXe siècle déclencha la conquête et le « scramble » coloniaux, puis la crise de 1929 déboucha sur la montée des nationalismes. Un tel raccourci n’apprend rien, sinon qu’il permet à l’auteur de conclure en proposant le concept d’« impérialisme humanitaire » pour caractériser le singulier mélange dans les motivations des puissances européennes : « abolir la traite et l’esclavage, pacifier le continent, faciliter la pénétration des missionnaires, éduquer et civiliser, et en même temps annexer, conquérir, asservir, réserver des sources de produits tropicaux et de matières premières, étendre son empire culturel et linguistique, se réserver des marchés pour les produits manufacturés européens » (p. 295).
La partie consacrée à la période contemporaine – les cinquante-cinq dernières années – est pour le moins frustrante – moins de dix pages. Elle s’ouvre avec la décolonisation, qui, autre formulation malheureuse, se serait faite « dans l’ensemble pacifiquement » (p. 335). Un historien kenyan ou camerounais aurait assurément un autre récit, évoquant ici la révolte de Mau Mau en pays kikuyu, là l’insurrection en pays bassa. On pense aussi aux guerres de la décolonisation portugaise.
L’exercice de la vulgarisation est assurément difficile. Chez Jacques Brasseul, le raccourci ne permet pas ni d’apprécier les « dynamiques du dedans » – chères à Georges Balandier, d’ailleurs lui aussi ignoré par l’auteur – ni d’évaluer le poids de l’héritage de l’histoire longue dans l’histoire récente, pas davantage qu’il ne permet de construire une prospective – pesanteurs, potentialités de transformation structurelle.