See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Histoire de l’Iran contemporain
Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner Paris, Repères La Découverte, 2010, 125 p.
Deux ouvrages qui se complètent utilement pour entrer dans les réalités iraniennes. Le premier montre comment la construction de l’Iran moderne a été le résultat d’une volonté de modernisation et d’ouverture de la part du pouvoir, qui remonte au xixe siècle, et qui offre certaines similitudes avec l’expérience turque. Pourtant, l’évolution de l’Iran a été plus heurtée, car la dialectique modernistes-conservateurs ne s’est jamais conclue par une victoire définitive d’un des deux camps. L’intervention des puissances étrangères est venue compliquer cette lutte, et l’Iran était en passe de devenir une semi-colonie n’eût été la réaction nationaliste de Reza Shah. À partir de l’entre-deux guerres, l’Iran semble s’engager dans une voie irréductible, se transformant en une grande puissance régionale. Le pouvoir détruit les forces tribales centrifuges et favorise l’essor d’une classe moyenne grâce aux revenus pétroliers. Pourtant l’exclusion de la participation politique pousse cette même classe moyenne à une alliance avec les forces conservatrices – le clergé, les marchands des circuits commerciaux traditionnels et les grands propriétaires touchés par la réforme agraire.
La victoire des islamistes en 1979 ne met pas un terme à ce projet séculaire de modernisation. Après la défaite face à l’Irak, puis la fin de la guerre froide, non seulement la population iranienne attend une élévation de son niveau de vie, mais aussi une normalisation de ses rapports avec le reste du monde. Les deux tentatives, celle du conservateur pragmatique A.A.H. Rafsandjani et celle du réformiste modéré Mohamed Khatami, échouent : la privatisation d’une économie sclérosée, en crise se révèle difficile, et l’ouverture internationale est bloquée par la contre-attaque des conservateurs. Les deux ouvrages montrent bien comment, par la manipulation des règles « démocratiques » de la république mais aussi le manque de courage ou de clairvoyance de la part des réformateurs, le « printemps de Téhéran » s’achève au début des années 2000 pour laisser émerger une nouvelle mouture de régime conservateur, plus populiste et ultra-nationaliste, qui ramène l’Iran aux fondamentaux révolutionnaires de l’Iran khomeyniste.
L’ouvrage de Marie Ladier-Fouladi explique comment les tendances lourdes démographiques et sociologiques fragilisent ce pari fondamentaliste. L’évolution structurelle de la société iranienne pousse à une libéralisation : la progression des niveaux d’éducation, la mutation de la place de la femme, les rapports intergénérationnels, etc. La jeunesse, aux effectifs gonflés par les dernières vagues de la transition démographique, se détache du discours islamiste. L’influence des pratiques culturelles occidentales, véhiculées par les médias imparfaitement censurés, mais surtout par une diaspora importante, concurrence victorieusement un modèle islamiste sclérosé que le culte du martyr propre au chiisme et renforcé par les épreuves de la guerre contre l’Irak ne peut ranimer.
Son analyse des campagnes électorales récentes est fort intéressante. Elle passe longuement en revue les différentes factions (pour synthétiser : conservateurs, modérés et réformateurs), puis rend compte des recompositions et de l’inaptitude des deux grandes tendances – conservateurs et réformateurs – à unifier leur camp respectif. L’étude des votes met en lumière le caractère fragile et largement manipulé de la victoire des conservateurs tout autant que la responsabilité des réformistes dans leur débâcle à la fin de l’ère Khatami. L’essoufflement du système politique, paradoxalement, a permis à un quasi-inconnu, Mahmoud Ahmadinejad, de prendre le pouvoir non pas au nom des déshérités – le second ouvrage désavouant le premier sur ce point – mais au nom de ceux qui rejettent un pouvoir, qu’il soit réformateur ou conservateur, incapable de sortir le pays de la crise, du creusement des inégalités sociales et de la stagnation intellectuelle. Choix bien malheureux, et erreur commise par le vrai chef des conservateurs, le guide Ali Khameni, en soutenant Ahmadinejad jusqu'au bout : l’Iran semble désormais dans une impasse.