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Histoire de l’Alliance israélite universelle de 1860 à nos jours
André Kaspi (sous la dir.) Paris, Armand Colin, 2010, 575 p.
Éminent spécialiste des États-Unis, André Kaspi a aussi beaucoup publié sur l’histoire des juifs, a présidé la Commission française des archives juives et dirige aussi la revue Archives juives. Il n’est donc pas étonnant de le voir conduire un ouvrage sur l’histoire de l’Alliance israélite universelle (AIU) dont la parution coïncide avec la célébration des 150 ans de cette institution.
Cet épais volume réunit une vingtaine d’historiens et de conservateurs, français et étrangers, et présente, en suivant l’ordre chronologique, douze chapitres thématiques qui jettent un éclairage nouveau sur les grandes orientations, les inévitables débats et l’influence internationale de l’AIU depuis 1860.
Trois thèmes sont essentiellement développés dans ce livre. On montre d’abord l’évolution des ambitions de l’Alliance. Si la solidarité internationale du peuple juif est l’objectif principal de l’organisation en 1860, elle marque son originalité en ne revendiquant pas pour autant un retour des juifs en Terre sainte. Au contraire, soucieuse de favoriser l’intégration des communautés juives, l’AIU prend comme ligne idéologique les acquis de 1789 et le modèle républicain français : le rayonnement juif passera avant tout par l’éducation qui concilie les exigences citoyennes de la vie moderne et le respect des traditions religieuses. Le développement du sionisme (chap. 5) viendra évidemment ébranler les certitudes de l’Alliance qui refusera de rejoindre cette idée jusqu’en 1945, date à laquelle elle ne pourra plus moralement s’opposer à la création d’Israël. Universalité, tropisme français et sionisme : ce triptyque contradictoire est la clé pour comprendre le positionnement international de l’Alliance.
L’AIU a joué en effet un rôle important sur la scène mondiale au moins jusqu’en 1920. Les chapitres 3 et 4, passionnants, dévoilent entre autres l’action de l’Alliance en faveur des juifs de Russie à la fin du xixe siècle, l’utilisation du réseau éducatif de l’AIU au Moyen-Orient par le Quai d’Orsay pour contrer les velléités britanniques en 1919 lors de l’attribution des mandats, le rôle de veille politique au sein de la Société des nations (SDN). Les luttes d’influence avec les organisations sionistes, soutenues par les puissantes organisations anglaises et américaines, atténuent pourtant le rôle de l’Alliance à partir des années 1930. Après les vicissitudes du second conflit mondial et de la décolonisation, l’Alliance a repris aujourd’hui, dans une moindre mesure, son rôle d’observateur et fait entendre sa voix à l’ONU et l’UNESCO sur les Droits et de l’homme et la lutte contre l’antisémitisme par l’intermédiaire du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et du Conseil consultatif des organisations juives (CCJO).
La mission éducatrice de l’AIU dépend de ses positions idéologiques et de sa place au cœur des relations internationales. L’Alliance a très vite développé un vaste réseau d’écoles au Maghreb, au Moyen-Orient et même en Iran, en favorisant l’instruction primaire mais aussi la formation professionnelle et agricole (chap. 6 et 7). Malgré de nombreuses réussites, comme au Maroc, jusque dans les années 1950, l’Alliance a dû fermer la plupart de ses centres en raison de l’évolution des relations internationales dans le bassin méditerranéen (chap. 11). Ne pouvant plus compter que sur une présence importante en France et en Israël, l’Alliance est désormais un centre majeur pour la culture et les études juives, forte d’une bibliothèque et d’un centre d’archives incontournables pour les chercheurs.
Douze chapitres ne suffisent pas à épuiser cent-cinquante ans d’histoire quand bien même les contributions ont une qualité scientifique indéniable. On regrettera que les années 1970-2010 ne fassent l’objet que d’un seul chapitre (chap. 12). On aurait aussi voulu trouver une présentation générale et indépendante des sources que l’on n’aperçoit guère dans l’honnête bibliographie présentée à la fin. Au-delà de l’agrément historique, la lecture de ce livre est salutaire : à travers l’Alliance, les questions du sionisme et de l’antisémitisme sont abordées de front, celle des liens entre identités juives et identités nationales également. À l’heure où la défiance règne, il est bon d’apercevoir les réponses proposées par l’Histoire.