Histoire de la Géorgie : la clé du Caucase
Pierre Razoux Paris, Perrin, 2009, 400 p.
Dans son ouvrage Histoire de la Géorgie : la clé du Caucase, Pierre Razoux cherche à identifier, dans une perspective de longue durée, les logiques et tendances à l’œuvre depuis le début de l’histoire de ce pays jusqu’à nos jours. Cette histoire tortueuse, complexe et souvent ambigüe est en effet un pré-requis à la compréhension des enjeux actuels de la Géorgie et de l’ensemble de la région. Si la Géorgie est revenue sur le devant de la scène internationale depuis la guerre d’août 2008 qui l’opposa à la Russie, cet événement, ainsi que les conflits gelés d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud demandent à être envisagés dans une perspective historique afin de pouvoir en saisir les tenants et aboutissants véritables. Tel est l’objectif de Pierre Razoux et il est atteint.
Les deux premiers chapitres, consacrés à l’histoire de la Géorgie avant sa mise sous tutelle russe, nous donnent à comprendre la genèse de l’État géorgien longtemps caractérisé par une division et une concurrence entre différents royaumes et provinces, soutenus par divers acteurs régionaux puissants. Si l’État géorgien unifié connut son âge d’or au xiie siècle, à la veille de la conquête russe, la Géorgie n’est plus qu’une mosaïque de royaumes, concurrents les uns des autres, dont l’Abkhazie. Le troisième chapitre se penche sur la « pacification » du Sud-Caucase par la Russie tsariste au xviiie siècle et aux rêves d’indépendance de la Géorgie lorsque le Grand Jeu bat son plein au cours du xixe siècle. Le chapitre quatre s’interroge sur l’influence de la « parenthèse soviétique » sur le destin de cet État dont sont originaires deux figures incontournables de l’histoire soviétique : Staline et Beria. Les chapitres cinq, six et sept sont consacrés à l’accession à l’indépendance de Tbilissi, à ses rapports complexes et fluctuants avec l’ex-Grand Frère qu’est Moscou, au développement des mouvements séparatistes abkhazes et ossètes après la période soviétique et à l’implication croissante des puissances occidentales, dans ces années où Chevardnadze est le maître incontesté. Puis viennent les chapitres relatifs à l’histoire récente du pays qui nous offrent l’occasion de prendre du recul sur les événements récents et mouvementés de l’histoire géorgienne et ce afin de mieux les comprendre. Ainsi, grâce aux chapitres précédents, la révolution des roses qui conduit Saakachvili au pouvoir en novembre 2003 nous apparaît sous un autre angle plus analytique, moins émotionnel et passionné que celui avec lequel les médias occidentaux l’abordent souvent. De même, la guerre d’août 2008, les événements qui y ont conduit et la réaction de la communauté internationale sont décortiqués et analysés. On saisit ainsi quelles ont été les erreurs du président géorgien avant et pendant cette crise lorsqu’il sous-estima la réaction russe à ses opérations militaires en Ossétie et surestima le soutien de l’Occident.
Tout au long des chapitres, l’auteur évoque le contexte culturel et religieux de cet espace, nous rappelant que l’Église géorgienne qui, à l’image de son peuple, a longtemps lutté pour son autonomie à l’égard du patriarcat de Moscou, est un puissant facteur d’unité et de cohésion nationale.
En somme cet ouvrage, combine, d’une part, une synthèse complète et accessible de l’histoire complexe et mouvementée de la Géorgie et, d’autre part, nous permet d’identifier les tropismes durables de ce peuple en quête d’indépendance nationale et d’autonomie régionale depuis de nombreux siècles. Au-delà de la Géorgie, Pierre Razoux s’intéresse à l’ensemble du Sud-Caucase puisque la géopolitique régionale a influencé et influence aujourd’hui encore la politique géorgienne domestique et internationale.