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Guerre et stratégie au XXIe siècle
par Christian Malis - Paris, Fayard, 2014, 335 p.
S’interrogeant, dans un chapitre liminaire percutant, sur la malédiction qui a poussé l’Occident de l’après-guerre froide à multiplier les guerres à « contre-siècle », Christian Malis invite à une plongée dans le nouveau monde de la guerre sur fond de recomposition des équilibres géopolitiques. Neuf chapitres denses et au fait des recherches les plus récentes sur la cyberstratégie, la robotisation, la contre-guérilla, la politique navale chinoise ou les transformations du droit de la guerre proposent un panorama prospectif très complet. Y sont étudiés la nouvelle donne stratégique – avec un chapitre sur l’avenir de la dissuasion – et la morphologie des conflits futurs – avec de nouveaux acteurs comme les robots ou les soldats privés, de nouveaux espaces de confrontation comme le cyberespace et le monde circum-terrestre. Nouvelles perspectives pour la technostratégie et la puissance militaire, trois chapitres de « public policy » dessinent, en fin d’ouvrage, les contours d’un possible nouvel art de la guerre.
L’ouvrage a pour mérite d’offrir, dans le cadre d’un panorama planétaire, plusieurs ouvrages en un. La prospective, visant l’horizon 2030-2040, couvre la stratégie, la géopolitique, la technologie, et n’hésite pas devant les recommandations les plus concrètes – ainsi la restructuration de l’outil militaire français autour d’une nouvelle « tétrade ». Elle fait un usage raisonnable de la méthode scénarique, ne l’appliquant formellement qu’à la dissuasion nucléaire : l’auteur distingue alors quatre avenirs possibles, de l’élimination complète à l’usage effectif en passant par l’emballement de la course aux armements et la transformation de la dissuasion en « interdiction ». C’est que l’avenir de la guerre demeure ouvert, hésitant encore entre une civilisation de la « guerre réglée » et le triomphe de la « guerre sans règle »
Les références sont extrêmement variées, depuis les classiques de la réflexion stratégique et politique (Carl von Clausewitz, Platon, Henry Kissinger, Hervé Coutau-Bégarie, etc.) jusqu’aux spécialistes de la cybernétique ou des satellites. On songe à la Stratégie de l’âge nucléaire du général Gallois (1960) pour l’ambition fondatrice du texte et la rigueur intellectuelle. Mais le normalien qu’est Christian Malis ancre aussi son propos dans la théorie politique, s’interrogeant sur les moyens moraux et pratiques de conjurer la « sortie de route » catastrophique vers des guerres sans règles et sans freins, malédiction qui a frappé périodiquement l’humanité. Le texte dense est servi par une grande clarté d’expression et fait ressortir les multiples facettes du phénomène belliqueux moderne. Le lecteur, qui n’est pas emprisonné dans une thèse unilatérale sur la guerre future, se sent en refermant l’ouvrage mieux armé personnellement pour comprendre les affaires mondiales, une « touche » qui n’est pas sans rappeler la manière d’un Raymond Aron.
On pourra toutefois regretter que l’espace consacré aux aspects techniques et génétiques restreigne l’attention portée aux dimensions morale et socio-culturelle de la dialectique stratégique. La conclusion, sans doute l’une des parties les plus personnelles de l’ouvrage, relève le défi du « Que faire ? », proposant une refondation de la politique de défense française autour d’une nouvelle ambition stratégique. Au chapitre des recommandations finales, cet appel aurait mérité une analyse plus détaillée et plus tranchée de la contrainte économique actuelle qui « dicte notre stratégie », comme des moyens de s’en évader. Si l’appel à retrouver des ratios investissement de défense / PIB du même niveau que lors des années Giscard d’Estaing se comprend, pourquoi ne pas avoir suggéré, par exemple, la sortie des investissements militaires des critères de Maastricht pour desserrer la contrainte européenne ? Enfin le rétrécissement final du propos sur le cas de la France n’allait pas de soi après un ouvrage aussi vaste et global. Une deuxième édition – mieux encore, une traduction en anglais – pourrait élargir la finale à des recommandations plus internationales.
L’ouvrage a pour mérite d’offrir, dans le cadre d’un panorama planétaire, plusieurs ouvrages en un. La prospective, visant l’horizon 2030-2040, couvre la stratégie, la géopolitique, la technologie, et n’hésite pas devant les recommandations les plus concrètes – ainsi la restructuration de l’outil militaire français autour d’une nouvelle « tétrade ». Elle fait un usage raisonnable de la méthode scénarique, ne l’appliquant formellement qu’à la dissuasion nucléaire : l’auteur distingue alors quatre avenirs possibles, de l’élimination complète à l’usage effectif en passant par l’emballement de la course aux armements et la transformation de la dissuasion en « interdiction ». C’est que l’avenir de la guerre demeure ouvert, hésitant encore entre une civilisation de la « guerre réglée » et le triomphe de la « guerre sans règle »
Les références sont extrêmement variées, depuis les classiques de la réflexion stratégique et politique (Carl von Clausewitz, Platon, Henry Kissinger, Hervé Coutau-Bégarie, etc.) jusqu’aux spécialistes de la cybernétique ou des satellites. On songe à la Stratégie de l’âge nucléaire du général Gallois (1960) pour l’ambition fondatrice du texte et la rigueur intellectuelle. Mais le normalien qu’est Christian Malis ancre aussi son propos dans la théorie politique, s’interrogeant sur les moyens moraux et pratiques de conjurer la « sortie de route » catastrophique vers des guerres sans règles et sans freins, malédiction qui a frappé périodiquement l’humanité. Le texte dense est servi par une grande clarté d’expression et fait ressortir les multiples facettes du phénomène belliqueux moderne. Le lecteur, qui n’est pas emprisonné dans une thèse unilatérale sur la guerre future, se sent en refermant l’ouvrage mieux armé personnellement pour comprendre les affaires mondiales, une « touche » qui n’est pas sans rappeler la manière d’un Raymond Aron.
On pourra toutefois regretter que l’espace consacré aux aspects techniques et génétiques restreigne l’attention portée aux dimensions morale et socio-culturelle de la dialectique stratégique. La conclusion, sans doute l’une des parties les plus personnelles de l’ouvrage, relève le défi du « Que faire ? », proposant une refondation de la politique de défense française autour d’une nouvelle ambition stratégique. Au chapitre des recommandations finales, cet appel aurait mérité une analyse plus détaillée et plus tranchée de la contrainte économique actuelle qui « dicte notre stratégie », comme des moyens de s’en évader. Si l’appel à retrouver des ratios investissement de défense / PIB du même niveau que lors des années Giscard d’Estaing se comprend, pourquoi ne pas avoir suggéré, par exemple, la sortie des investissements militaires des critères de Maastricht pour desserrer la contrainte européenne ? Enfin le rétrécissement final du propos sur le cas de la France n’allait pas de soi après un ouvrage aussi vaste et global. Une deuxième édition – mieux encore, une traduction en anglais – pourrait élargir la finale à des recommandations plus internationales.