Guantanamo, Les dérives de la guerre contre le terrorisme
Simon Petermann Paris, André Versailles éditeur, 2009, 229 p.
Le 22 janvier 2009, le président Barack Obama déclare son intention de fermer la prison de Guantanamo. À l’évocation de son nom, cette prison évoque la violation des droits de l’homme dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme qui n’en finit pas de ternir l’image des États-Unis. Elle constituerait, selon les termes d’Amnesty International, le « goulag de notre époque ». C’est l’histoire de ce bagne que Simon Petermann entend retracer dans un ouvrage clair et à la portée de tous qui n’en soulève pas moins avec brio les enjeux juridiques. En tant qu’expert pour l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), S. Petermann a eu l’occasion d’aller sur la base américaine, ce qui lui permet d’évoquer à travers un récit personnel l’atmosphère particulière qui y règne
En guise d’introduction, ce récit qui donne le ton à l’ouvrage ouvre néanmoins sur des considérations plus générales sur la spécificité de Guantanamo. L’auteur nous rappelle ainsi que cette prison reste incompréhensible sans la prise en compte de l’impact fondamental qu’eurent les attentats du 11-Septembre. Bien qu’en droit international public le recours à l’action en légitime défense ne puisse s’appliquer qu’entre deux États et non entre un État et une organisation terroriste, l’Administration américaine considère néanmoins que l’attaque du 11-Septembre est bien un « acte de guerre » qui induit une riposte légitime. D’où l’invasion de l’Afghanistan mais aussi et surtout le vote par le Congrès de l’USA Patriot Act le 26 octobre 2001 qui constitue la matrice juridique à partir de laquelle va pouvoir naître Guantanamo. Cette loi anti-terroriste permet au président de détenir sans mandat judiciaire tout « ennemi originaire » du pays en conflit. Immédiatement après les attentats, ce sont alors 5 000 musulmans qui sont arrêtés et 80 000 autres qui sont convoqués sans qu’il n’y ait eu d’inculpation. Tout de suite après les attentats du 11-Septembre, les autorités du Pentagone pensent à la base navale de Guantanamo pour la détention des prisonniers de guerre contre le terrorisme. Il s’agit d’une baie située sur le territoire cubain qui fut l’objet en 1903 d’un accord entre le président cubain Estrada Palma et le président américain Théodore Roosevelt. Elle devint dès lors un territoire loué par Cuba aux États-Unis, mais ce bail va prendre fin dès 1959 avec l’arrivée de Fidel Castro au pouvoir. Cependant, ce n’est pas pour autant que Guantanamo fait partie du territoire souverain des États-Unis. En effet, comme le stipule une note du ministère de la Justice datée du 28 décembre 2001, la Constitution américaine est inexistante pour les détenus qui n’ont par conséquent aucune possibilité de faire valoir leurs droits fondamentaux.
S. Petermann relate alors la longue bataille juridique qui a eu lieu principalement entre le Congrès, les associations civiles de défense des droits de l’homme d’une part, et l’exécutif d’autre part concernant notamment le statut des prisonniers. L’exécutif cherchera toujours avec l’Administration Bush à avoir le plus de marge de manœuvre : c’est ainsi que le Military Commision Act de 2006 permet au président de fixer la dureté des interrogatoires. Beaucoup de parlementaires se demandent alors si la torture n’est pas en train d’être légalisée de manière détournée. Car depuis la naissance de Guantanamo, c’est bien le spectre de la torture qui hante la démocratie américaine. S. Petermann évoque ainsi les témoignages de nombreux détenus corroborés par l’existence de mémos secrets que l’Administration Obama a rendus publics en 2009. Dans ces documents nous retrouvons ainsi des techniques d’interrogatoire de la CIA qui font froid dans le dos. Cependant les abus les plus graves n’ont pas tant lieu à Guantanamo que dans des prisons secrètes situées à l’étranger qui ne sont pourtant pas en marge de la loi puisque ce réseau de détention a été conçu par des juristes de la CIA et de l’armée avec la bénédiction du ministère de la Justice. Le mérite de l’ouvrage de S. Petermann est ainsi d’aborder les différentes facettes et les multiples enjeux de Guantanamo : de la description du camp à la condition des détenus en passant par la bataille concernant leur statut juridique et le problème de la torture, c’est un panorama complet et synthétique que l’auteur nous offre afin d’appréhender au mieux le symptôme d’une guerre qui ne se déroule plus selon des lois.