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Géostratégie du crime.
Jean-François Gayraud et François Thual Odile Jacob, Paris, 2012, 272 p.
Cet ouvrage met en forme la réflexion entre un expert en géopolitique, François Thual et un commissaire divisionnaire, Jean-François Gayraud. À travers cet échange, les auteurs posent les bases d’un nouveau cadre d’analyse du crime au XXIe siècle. En effet, la criminologie a souvent tendance à penser le crime comme « un fait isolé », au lieu de le considérer comme « un fait collectif » (p. 21). Il résulte pourtant de l’action de réseaux transnationaux, à l’origine de flux matériels (contrefaçon, prostitution, drogue), ou immatériels (détournement de fonds, création de sociétés écrans pour blanchir de l’argent). La géostratégie du crime, dont les auteurs nous dresse ici une esquisse, serait donc une approche interdisciplinaire du crime alliant « criminologie, géopolitique / géo-économie et stratégie » (p. 239).
La relation qu’entretiennent les mafias avec leur environnement sera abordée à travers deux angles d’étude complémentaires. Premièrement, les réseaux mafieux se définissent par l’usage de pratiques, (noms de code, symboles, organisations hiérarchiques), caractéristiques de leur culture d’origine. Deuxièmement, les activités mafieuses contribuent à modifier le contexte social de leur environnement d’origine, pour ensuite s’étendre au-delà de leur cœur territorial. Les produits des activités mafieuses deviennent alors « des produits d’exportation » (p. 46), d’autant plus aisément que le contrôle est faible. En effet, la dynamique interne du couple « balkanisation / criminalisation » (p. 53), répond au principe « des vases communicants » (p. 50). La prolifération des États au cours du XXe siècle, s’est accompagnée d’un amoindrissement de la place des gouvernements, ce qui a conduit à un transfert de pouvoir vers « les acteurs non-étatiques légaux », mais aussi « illégaux » (p. 57).
« Une géo-économie du crime » permettrait de modéliser les flux d’argent sale et d’évaluer l’impact des activités criminelles sur « le fonctionnement des marchés » (p. 151). L’économie illégale est, de par sa nature clandestine, très délicate à quantifier. Les estimations disponibles restent impressionnantes. Le blanchiment d’argent sale représenterait près de « 2,7 % du produit intérieur brut mondial, soit 1 600 milliards de dollars en 2009 » (p. 155). Il s’effectuerait, en partie, par des réinvestissements dans les secteurs de « l’immobilier et du BTP » (p. 174). Le circuit économique clandestin est ainsi interconnecté avec le circuit économique réel. Les conversions monétaires constitueraient également des « occasions de légaliser les bénéfices du crime » (p. 177). Ainsi, en 2002, les réseaux criminels dans les Balkans auraient converti « des millions de deutsche mark en euros » (p. 178).
On peut alors s’interroger sur le lien de causalité entre la criminalité et les crises économiques. Il semblerait que « la volatilité intrinsèque de l’argent sale » fragiliserait « la solvabilité et la liquidité des institutions financières » (p. 163). Les auteurs considèrent également que la dérégulation des marchés depuis les années 1980, a contribué à « la financiarisation de l’économie » (p. 191). Au couple balkanisation / criminalisation, vient finalement s’ajouter la financiarisation, pour constituer « la triade géopolitique » du crime (p. 191).
Les auteurs estiment que nous sommes davantage confrontés à une « criminalité d’envie » qu’une criminalité de « nécessité » (p. 200). Pour appuyer cette hypothèse, la hiérarchie sociale propre à l’univers du crime sera étudiée avec soin. Il existe deux modalités de formation des élites criminelles : soit des élites se criminalisent, soit des criminels accèdent au pouvoir politico-économique.
La métaphore de « l’iceberg », dont nous ne percevons que « la pointe émergée », pourrait s’appliquer à notre connaissance actuelle du monde criminel (p. 230). Le crime doit être considérer comme un phénomène symptomatique, dont il faudrait traiter les causes et prévenir les conséquences (p. 235).