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Géopolitique de la démocratisation. L’Europe et ses voisinages
par Jacques Rupnik (dir.) - Paris, Presses de Sciences Po, 2014, 331p.
Jacques Rupnik a réuni autour de lui les meilleurs spécialistes français de ces « banlieues de l’Europe » auxquelles il avait déjà consacré un ouvrage collectif aux Presses de Sciences Po en 2007. Depuis cette dernière publication, la situation a évolué : à l’Est, la guerre en Ukraine bouleverse une paix européenne qui paraissait acquise, tandis qu’au Sud, les « printemps arabes » rebattent les cartes aux frontières de l’Europe.
Pourtant, l’Union européenne (UE) conserve, à ses marches, une capacité de séduction. Le paradoxe n’est pas assez souligné : alors qu’elle doute à l’intérieur de ses frontières, fragilisée par la crise financière de 2008 et la quasi-faillite de la Grèce, elle ne cesse d’attirer à l’extérieur. Sans doute l’Est et le Sud ne sont-ils pas dans la même situation à l’égard de l’Union, leur constitutive other : les pays de l’Est aspirent à l’intégration, les pays du Sud savent que cette perspective leur est fermée – la Turquie se situant exactement au point d’intersection de l’Est et du Sud.
Encore faut-il distinguer des sous-catégories au sein de chaque ensemble. À l’Est par exemple, comme le fait remarquer Jacques Rupnik dans son introduction, les pays d’Europe centrale, orientale et balte (PECOB) sont déjà entrés dans l’Union. Les pays des Balkans savent qu’ils y entreront un jour à condition de régler les défis qui les opposent (contentieux Grèce-Macédoine, reconnaissance du Kosovo, construction d’un État-nation en Bosnie-Herzégovine, etc.). Les États issus de l’éclatement de l’Union soviétique sont, en revanche, dans l’ignorance de leur destin, écartelés entre les orbites européenne et russe. En témoigne l’histoire ukrainienne, à laquelle Anne Daubenton consacre un chapitre, depuis la révolution orange de 2004-2005 jusqu’à l’Euromaïdan de 2013-2014. En témoignent aussi les trois pays du Caucase, présentés par Thorniké Gordadzé : entre la Géorgie pro-européenne et signataire de l’accord d’association avec l’UE et l’Arménie pro-russe, qui vient d’adhérer à l’Union économique eurasiatique, l’Azerbaïdjan tente, non sans difficultés, de suivre une « approche équilibrée » (p. 135), à mi-chemin d’un modèle européen trop démocratique au goût de ses dirigeants et d’un impérialisme russe trop envahissant.
Au Sud, souligne Gilles Kepel dans la postface, l’attraction de l’Europe est bien plus forte dans les pays du Maghreb, tout entiers aimantés par leurs voisins européens, que dans ceux du Machrek, qui ont d’autres horizons géopolitiques – les États-Unis, les monarchies du Golfe, etc.
À l’Est comme au Sud, l’Europe exerce une « puissance transformatrice », selon l’expression d’Heather Grabbe (The EU’s Transformative Power, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2006). Les fameux critères de Copenhague obligent les pays qui souhaitent adhérer à réformer leurs systèmes politique et économique. Mutatis mutandis, les recettes utilisées – avec un succès notable – pour l’élargissement de 2004 ont été transposées aux 16 pays concernés par la politique européenne de voisinage mise en œuvre depuis 2003 : six à l’Est, dix au Sud. Mais cette offre d’association étroite sans perspective d’adhésion – le « tout sauf les institutions » promis par le président de la Commission européenne à l’époque – a connu une progressive différenciation. La Pologne, appuyée par la Suède, a ainsi inspiré le « partenariat oriental ». Au même moment, la France a créé l’Union pour la Méditerranée (UpM), pour relancer le processus de Barcelone à bout de souffle. Dans les deux cas, l’Union européenne doit se mesurer à des enjeux géopolitiques : contentieux territoriaux en Transnistrie ou en Abkhazie, migrations subsahéliennes, approvisionnement énergétique en pétrole ou en gaz, etc. Autant de défis que l’UE, qui « n’a pas la géopolitique dans son ADN » (p. 69), semble mal armée pour relever. Mais autant d’hypothèques à lever si elle veut pacifier ses relations avec son voisinage.
Pourtant, l’Union européenne (UE) conserve, à ses marches, une capacité de séduction. Le paradoxe n’est pas assez souligné : alors qu’elle doute à l’intérieur de ses frontières, fragilisée par la crise financière de 2008 et la quasi-faillite de la Grèce, elle ne cesse d’attirer à l’extérieur. Sans doute l’Est et le Sud ne sont-ils pas dans la même situation à l’égard de l’Union, leur constitutive other : les pays de l’Est aspirent à l’intégration, les pays du Sud savent que cette perspective leur est fermée – la Turquie se situant exactement au point d’intersection de l’Est et du Sud.
Encore faut-il distinguer des sous-catégories au sein de chaque ensemble. À l’Est par exemple, comme le fait remarquer Jacques Rupnik dans son introduction, les pays d’Europe centrale, orientale et balte (PECOB) sont déjà entrés dans l’Union. Les pays des Balkans savent qu’ils y entreront un jour à condition de régler les défis qui les opposent (contentieux Grèce-Macédoine, reconnaissance du Kosovo, construction d’un État-nation en Bosnie-Herzégovine, etc.). Les États issus de l’éclatement de l’Union soviétique sont, en revanche, dans l’ignorance de leur destin, écartelés entre les orbites européenne et russe. En témoigne l’histoire ukrainienne, à laquelle Anne Daubenton consacre un chapitre, depuis la révolution orange de 2004-2005 jusqu’à l’Euromaïdan de 2013-2014. En témoignent aussi les trois pays du Caucase, présentés par Thorniké Gordadzé : entre la Géorgie pro-européenne et signataire de l’accord d’association avec l’UE et l’Arménie pro-russe, qui vient d’adhérer à l’Union économique eurasiatique, l’Azerbaïdjan tente, non sans difficultés, de suivre une « approche équilibrée » (p. 135), à mi-chemin d’un modèle européen trop démocratique au goût de ses dirigeants et d’un impérialisme russe trop envahissant.
Au Sud, souligne Gilles Kepel dans la postface, l’attraction de l’Europe est bien plus forte dans les pays du Maghreb, tout entiers aimantés par leurs voisins européens, que dans ceux du Machrek, qui ont d’autres horizons géopolitiques – les États-Unis, les monarchies du Golfe, etc.
À l’Est comme au Sud, l’Europe exerce une « puissance transformatrice », selon l’expression d’Heather Grabbe (The EU’s Transformative Power, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2006). Les fameux critères de Copenhague obligent les pays qui souhaitent adhérer à réformer leurs systèmes politique et économique. Mutatis mutandis, les recettes utilisées – avec un succès notable – pour l’élargissement de 2004 ont été transposées aux 16 pays concernés par la politique européenne de voisinage mise en œuvre depuis 2003 : six à l’Est, dix au Sud. Mais cette offre d’association étroite sans perspective d’adhésion – le « tout sauf les institutions » promis par le président de la Commission européenne à l’époque – a connu une progressive différenciation. La Pologne, appuyée par la Suède, a ainsi inspiré le « partenariat oriental ». Au même moment, la France a créé l’Union pour la Méditerranée (UpM), pour relancer le processus de Barcelone à bout de souffle. Dans les deux cas, l’Union européenne doit se mesurer à des enjeux géopolitiques : contentieux territoriaux en Transnistrie ou en Abkhazie, migrations subsahéliennes, approvisionnement énergétique en pétrole ou en gaz, etc. Autant de défis que l’UE, qui « n’a pas la géopolitique dans son ADN » (p. 69), semble mal armée pour relever. Mais autant d’hypothèques à lever si elle veut pacifier ses relations avec son voisinage.