Gazprom. Le nouvel empire
Alain Guillemoles et Alla Lazareva Paris, Les petits matins, 2008, 182 p.
C’est sur le fleuron de l’économie russe, sur le « bras armé » du retour de la Russie sur la scène internationale, mais aussi sur une nébuleuse étroitement liée au pouvoir russe, que se penchent A. Guillemoles, chef adjoint du service « Monde » au quotidien La Croix, et A. Lazareva, journaliste ukrainienne. Quatrième entreprise mondiale dans le domaine de l’énergie, colonne vertébrale de l’économie russe (400 000 salariés, 8 % du PIB russe), Gazprom est l’incarnation du projet politique mené par Vladimir Poutine, après les années d’humiliation de l’ère Eltsine. Gazprom, qui a su nouer des partenariats dans toute l’Europe par le biais de personnalités telles que G. Schröder, l’ex-chancelier allemand, est aujourd’hui partie prenante de plusieurs projets majeurs d’acheminement du gaz russe vers l’Europe de l’Ouest, dont le futur gazoduc Nord Stream sous la Baltique, entre la Russie et l’Allemagne, est l’un des plus ambitieux. Depuis la privatisation du ministère de la Production gazière en 1989, le géant gazier reste au cœur des collusions et des réseaux qui gravitent autour du Kremlin, dont émergent quelques noms fameux : Viktor Tchernomyrdine, premier président de Gazprom puis Premier ministre de Boris Eltsine, Dimitry Medvedev, actuel chef de l’État et président du conseil d’administration de Gazprom à partir de 2002, ou encore Alexei Miller, actuel président du comité de direction du groupe. Le pouvoir a renforcé en 2005 sa prépondérance dans le capital de l’entreprise, dont l’État russe détient 50,01 %.
Les auteurs observent la stratégie expansionniste de Gazprom qui, sous l’œil bienveillant de l’administration russe et parfois par le biais d’intermédiaires douteux, s’intéresse aujourd’hui aux secteurs de l’électricité et du nucléaire. Ils évoquent également les carences de l’Union européenne à mettre un frein aux appétits du géant gazier, et l’habileté de ce dernier à tirer parti de l’impuissance européenne et des divisions entre ses États membres. Ils consacrent un chapitre aux « guerres du gaz », dont l’Ukraine et la Biélorussie, pays par lesquels transite une large part du réseau de gazoduc de Gazprom, ont fait les frais ces dernières années et derrière lesquelles il faut distinguer le rôle actif de cet important vecteur de la politique étrangère russe.
A. Guillemoles et A. Lazareva en profitent pour retracer l’historique de l’exploitation du gaz en URSS, fondée sur la légende dorée de l’exploit collectif mais aussi sur la tragédie du goulag. Ils se sont rendus sur les sites d’exploitation pour mieux y décrypter le système Gazprom. Ils ont aussi visité Rostochi, un « village Gazprom » à 1 500km. de Moscou, et démontrent l’emprise exercée par le conglomérat sur la vie de ses employés, dont il régit le travail, la vie familiale, l’éducation et les loisirs. À travers cette enquête, c’est aussi un pan de la mentalité russe et du « pays russe » que l’on découvre, dans ses constantes (autoritarisme, âpreté des conditions de vie).
Rédigé dans un style alerte, journalistique et vivant, cet essai très documenté s’achève par une série d’annexes, qui offrent notamment au lecteur une chronologie et une nomenclature des principaux acteurs de la « saga » Gazprom. On pourra en revanche regretter la légèreté de la bibliographie, qui ne représente probablement qu’une partie infime des sources qu’ont dû exploiter les auteurs, mais la structure informelle de cette enquête atténue ce petit défaut.
* L’auteur s’exprime à titre strictement personnel.