La tragédie qui a frappé la bande de Gaza pendant 22 jours à la charnière des années 2008-2009 rend le livre de Hassan Balawi encore plus nécessaire à la compréhension des dynamiques politiques qui affectent la région. L’auteur relève brillamment le défi de lier un engagement militant sans faille au sein mouvement national palestinien avec celui de la rigueur de l’analyse intellectuelle. Lui qui se présente comme un « enfant de l’OLP » dissèque ainsi sans complaisance et avec une rare acuité les erreurs de la direction du Fatah depuis son retour dans les Territoires palestiniens et les différentes étapes de la montée en puissance du Hamas.
Mais le principal intérêt de cet ouvrage réside surtout dans sa capacité à mettre en perspective les principales données de l’histoire de la bande de Gaza ainsi que les origines souvent anciennes qui structurent la société et le paysage politique palestiniens. Ainsi, si les succès du Hamas sont indissociables de l’affirmation régionale des islams politiques – dans leur grande variété – il n’en demeure pas moins que ses racines sont structurellement liées à celles du mouvement national palestinien. L’auteur rappelle par exemple que les premières élections de la Ligue des étudiants palestiniens, au Caire en 1951, furent remportées par la Jeunesse islamiste dirigée à l’époque par son père, Fathi al-Balawi. C’est d’ailleurs à cette période qu’émergea un jeune militant « actif et charismatique » nommé Yasser Arafat qui pour sa part n’a jamais appartenu aux Frères musulmans.
Sont aussi limpidement expliqués l’ampleur et le nombre de batailles politiques que ce dernier mena pour imposer l’autonomie du mouvement palestinien par rapport aux régimes arabes et la longue et douloureuse marche qui mène aux Accords d’Oslo. Accords dont l’esprit original est selon l’auteur très rapidement perverti car ils passent d’un projet d’établissement de paix entre deux peuples à la préservation exclusive de la sécurité de l’État d’Israël et donc à la gestion sécuritaire de la population par l’Autorité palestinienne. L’intransigeance des dirigeants israéliens, leur refus quasi systématique d’appliquer ce qui constituait l’essentiel du contenu des Accords d’Oslo, l’incapacité pour le mouvement national palestinien de passer d’une légitimité révolutionnaire à une légitimité constitutionnelle, selon l’expression de Mahmoud Abbas, le développement de la corruption au sein d’une Autorité palestinienne qui ne possède en réalité que l’apparence d’un système étatique vont implacablement favoriser le renforcement du Hamas.
Hassan Balawi sans occulter aucun de ces glissements nous explique son inquiétude devant l’incapacité du Fatah à réagir, phénomène particulièrement sensible depuis la mort de Yasser Arafat en novembre 2004. Il constate amèrement la militarisation de la société palestinienne et le bilan souvent lourd des affrontements inter-palestiniens depuis lors. C’est ce contexte global qui permet de saisir les raisons de la division durable des Territoires palestiniens en deux entités distinctes depuis la prise du pouvoir du Hamas à Gaza.
Selon lui l’étape suivante pour le Hamas est son intégration au sein de l’OLP, et sa conquête, pour une raison très pragmatique : l’OLP représente les 10 millions des Palestiniens de l’intérieur et de la diaspora tandis que l’Autorité palestinienne n’administre que les 3 600 000 Palestiniens de Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est.
Après les atrocités commises par la soldatesque israélienne à Gaza il est difficile de se projeter dans l’avenir avec précision et d’évaluer la possibilité de parvenir à la création d’un État palestinien viable basé sur les résolutions de l’ONU. Ce livre particulièrement incisif, agrémenté de très nombreuses observations en situation de l’auteur, nous fournit de précieux éléments de compréhension pour ne pas en rester à l’écume de l’actualité, aussi dramatique soit-elle.