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Faut-il sortir de l’euro ?
Jacques Sapir Seuil, Paris, 2012, 204 p.
On connaît Jacques Sapir, économiste et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), pourfendeur de l’euro comme il peut l’être de la mondialisation. Dans ce nouvel ouvrage, il y défend une autre Europe et la possibilité de sortir de l’euro sans que cela ne soit la catastrophe annoncée partout et par tous. Il évoque même la possibilité que cette sortie soit pour certains pays inéluctable voire indispensable. L’intérêt principal de ce texte est de sortir des sentiers battus et de l’analyse politique et économique dominante, de la pensée unique pour proposer une vision alternative, souvent décapante !
L’autre qualité de cette analyse réside dans la volonté de son auteur de faire preuve de pédagogie et d’expliciter aussi précisément que possible les limites de l’euro et de la construction européenne telle qu’elle s’est faite ces 10-15 dernières années. Il étudie ainsi avec rigueur les facteurs pouvant expliciter la crise de l’euro, les déséquilibres et divergences qui se sont amplifiés en Europe et les enjeux de la crise de la dette. Son analyse débute à partir de la création du système monétaire européen (SME) et ses limites qui sont les causes de la création de l’euro. Il explique que l’enjeu de la monnaie unique était de limiter la spéculation et la volatilité des taux de change entre les monnaies européennes qui pénalisaient le commerce et l’activité d’un marché devenu unique. Or, force est de constater que l’euro n’est parvenu à éradiquer ni l’une, ni l’autre. L’auteur pense même qu’il a conduit à accroître les différences entre les pays donc les déséquilibres porteurs in fine de spéculation et de volatilité.
J. Sapir regrette également l’aveuglement des institutions européennes et des décideurs politiques nationaux qui ont refusé d’entendre les avertissements sur les limites de l’intégration monétaire et d’en voir les limites, clairement perceptibles dès 2003. Il ne ménage pas ses critiques vis-à-vis des institutions européennes et de leur faible démocratisation. Il est particulièrement sévère avec la Banque centrale européenne et la rigueur qu’elle met à lutter contre une inflation qui n’est plus une réalité et probablement pas un risque à court ou moyen terme.
Il regrette enfin le manque de volonté politique et de réactivité des leaders nationaux qui réagissent souvent trop tard et dans des mesures insuffisantes pour réellement endiguer les attaques des marchés financiers et la crise. Dans ce contexte, sa vision de la zone euro à court terme, est extrêmement pessimiste. Il ne croît pas que les réformes nécessaires seront menées à temps pour permettre de sauver, non pas tant l’euro mais les pays de la zone d’une éventuelle faillite. Il explique d’ailleurs qu’une telle perspective n’est pas forcément à redouter citant certains pays tel l’Argentine pour lesquels le défaut de paiement des créances a eu un effet plutôt constructif. La situation évolue très vite au sein de la zone euro et depuis la rédaction de cet ouvrage, les évènements ont semblé donner raison à l’auteur.
Outre le diagnostic de la situation, l’ouvrage tire certains constats quant aux alternatives à la monnaie unique. Il explique entre autre qu’une monnaie commune aurait été plus adaptée parce qu’elle aurait pu permettre le maintien d’une certaine marge de fluctuation entre les monnaies européennes à même de limiter les écarts de compétitivité et les divergences entre les pays. Il regrette également l’inadéquation des institutions européennes à gérer la crise, et en appelle à une réforme de ces institutions ainsi qu’une intégration moindre des pays.
La critique que l’on peut toutefois émettre à la lecture de cet ouvrage est qu’en voulant sortir d’une certaine pensée unique et dogmatique, J. Sapir donne parfois l’impression de retomber dans une autre approche, elle aussi assez dogmatique. Il répond presque toujours à la question qu’il pose Faut-il sortir de l’euro ? par l’affirmative. À aucun moment, il n’est envisagé la possibilité de faire évoluer les institutions européennes, la gestion de la monnaie unique ou la reprise en main par les politiques pour que l’idée européenne et les acquis de l’intégration perdure. Et au fond, proposer une sortie de l’euro est une proposition « facile » et porteuse parce qu’il est probable que cela reste une simple option sans qu’on en connaisse un jour les conséquences réelles…