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Faut-il enterrer la défense européenne ?
par Nicole Gnesotto - Paris, La Documentation française, 2014, 152 p.
La défense européenne, pour qui veut bien s’y pencher, charrie les plus insondables paradoxes. Ce petit ouvrage de Nicole Gnesotto dénoue au fil des pages les contradictions et les lignes de fracture qui contribuent à miner la crédibilité stratégique de l’Union européenne (UE).
Il y a clairement urgence à ce que les Européens travaillent ensemble. C’est en périphérie de l’Europe que s’accumulent les crises les plus aiguës. Les pays européens n’ont plus le poids ni les ressources nécessaires pour les traiter sans coordination, et les États-Unis n’en ont plus l’appétit. Pourtant, les Européens coopèrent de moins en moins. Quinze ans après le Conseil européen de Cologne qui a porté le projet sur les fonts baptismaux, N. Gnesotto caractérise les années 2010 comme celles de la « déception stratégique » (p. 39). Après une longue genèse et quelques succès notoires au cours des années 2000, la crise financière a porté un coup d’arrêt à cette dynamique collective, sur le plan tant stratégique que capacitaire, opérationnel et industriel. La défense européenne symbolise aujourd’hui tout à la fois l’impossibilité des États à ne pas travailler ensemble et l’impossibilité qu’ils éprouvent à travailler ensemble – deux propositions qui, prises séparément, ne souffrent presque plus d’aucun débat. Dit autrement, plus il est nécessaire de coopérer, moins cela devient possible – point d’aporie plus parfaite que cela.
Ce n’est pas le moindre mérite du travail de N. Gnesotto que de repenser ce paradoxe sous toutes ses coutures et d’en faire ressortir les grandes lignes de fracture : grands pays et petits pays, anciens et nouveaux pays, pays du Nord et pays du Sud, pays interventionnistes et pays pacifistes, pays industriels et pays sans industrie militaire. Ces différences nourrissent des sensibilités différentes et des chapelles de pensée qui s’opposent (p. 77) : une école du « renoncement » (démission stratégique, refus de l’Histoire, diplomatie caritative, délégation de la chose stratégique aux États-Unis), une école « idéaliste » (l’Europe comme entité normative et post-moderne, confiance dans l’excellence pacificatrice du droit, de la négociation et des marchés, méfiance à l’endroit de la force et de la coercition) et une école « réaliste » (doter l’Europe d’une capacité à agir sur ses voisinages Sud et Est, en appui de sa puissance économique et commerciale). Ambiguïtés structurelles et fondatrices, enfin, qui touchent à l’idée même de défense européenne. La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ne concerne, en effet, ni le territoire européen, ni la défense, ni ne ressort d’une politique commune. La PSDC n’opère qu’à l’extérieur des frontières européennes, s’attache essentiellement à la gestion de crise, et se fonde sur une coopération intergouvernementale entre États souverains. Cela explique que ce soit ouvert « un écart abyssal entre le mot et la chose » (p. 55), ainsi qu’un écart significatif entre la réalité et les attentes des citoyens européens, qui soutiennent sur le fond l’idée d’une défense commune.
Peut-on façonner une ambition stratégique commune à partir de ce tissu d’ambiguïtés ? Cet ensemble de cultures stratégiques éparses, parfois marquées par l’absence de vision stratégique, va-t-elle – doit-elle ? – contribuer à mettre un terme définitif à l’entreprise ? Ou la multiplication des défis posés par son environnement régional justifie-t-elle que l’Union conserve sa composante stratégique externe ? De la réponse à cette question dépend la capacité de l’UE à penser le monde qui l’entoure, et in fine sa capacité à ne pas tout bonnement en sortir.
Il y a clairement urgence à ce que les Européens travaillent ensemble. C’est en périphérie de l’Europe que s’accumulent les crises les plus aiguës. Les pays européens n’ont plus le poids ni les ressources nécessaires pour les traiter sans coordination, et les États-Unis n’en ont plus l’appétit. Pourtant, les Européens coopèrent de moins en moins. Quinze ans après le Conseil européen de Cologne qui a porté le projet sur les fonts baptismaux, N. Gnesotto caractérise les années 2010 comme celles de la « déception stratégique » (p. 39). Après une longue genèse et quelques succès notoires au cours des années 2000, la crise financière a porté un coup d’arrêt à cette dynamique collective, sur le plan tant stratégique que capacitaire, opérationnel et industriel. La défense européenne symbolise aujourd’hui tout à la fois l’impossibilité des États à ne pas travailler ensemble et l’impossibilité qu’ils éprouvent à travailler ensemble – deux propositions qui, prises séparément, ne souffrent presque plus d’aucun débat. Dit autrement, plus il est nécessaire de coopérer, moins cela devient possible – point d’aporie plus parfaite que cela.
Ce n’est pas le moindre mérite du travail de N. Gnesotto que de repenser ce paradoxe sous toutes ses coutures et d’en faire ressortir les grandes lignes de fracture : grands pays et petits pays, anciens et nouveaux pays, pays du Nord et pays du Sud, pays interventionnistes et pays pacifistes, pays industriels et pays sans industrie militaire. Ces différences nourrissent des sensibilités différentes et des chapelles de pensée qui s’opposent (p. 77) : une école du « renoncement » (démission stratégique, refus de l’Histoire, diplomatie caritative, délégation de la chose stratégique aux États-Unis), une école « idéaliste » (l’Europe comme entité normative et post-moderne, confiance dans l’excellence pacificatrice du droit, de la négociation et des marchés, méfiance à l’endroit de la force et de la coercition) et une école « réaliste » (doter l’Europe d’une capacité à agir sur ses voisinages Sud et Est, en appui de sa puissance économique et commerciale). Ambiguïtés structurelles et fondatrices, enfin, qui touchent à l’idée même de défense européenne. La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ne concerne, en effet, ni le territoire européen, ni la défense, ni ne ressort d’une politique commune. La PSDC n’opère qu’à l’extérieur des frontières européennes, s’attache essentiellement à la gestion de crise, et se fonde sur une coopération intergouvernementale entre États souverains. Cela explique que ce soit ouvert « un écart abyssal entre le mot et la chose » (p. 55), ainsi qu’un écart significatif entre la réalité et les attentes des citoyens européens, qui soutiennent sur le fond l’idée d’une défense commune.
Peut-on façonner une ambition stratégique commune à partir de ce tissu d’ambiguïtés ? Cet ensemble de cultures stratégiques éparses, parfois marquées par l’absence de vision stratégique, va-t-elle – doit-elle ? – contribuer à mettre un terme définitif à l’entreprise ? Ou la multiplication des défis posés par son environnement régional justifie-t-elle que l’Union conserve sa composante stratégique externe ? De la réponse à cette question dépend la capacité de l’UE à penser le monde qui l’entoure, et in fine sa capacité à ne pas tout bonnement en sortir.