Faire la paix, la part des institutions internationales
Guillaume Devin (sous la dir.) Paris, Presses de Sciences Po, 2009, 271 p.
Guillaume Devin le souligne dans les premières pages de l’ouvrage, les études traitant des organisations internationales sont rares en langue française. De plus, ce professeur de l’IEP de Paris a fait le choix téméraire de faire écrire des praticiens. Un choix alimenté par une difficulté d’accès à l’information et aux rouages de ces institutions pour une personne extérieure. Au centre de cet ouvrage, G. Devin installe les organisations internationales, celles qui font et qui garantissent la paix. Comme il l’explique, « de la paix négative (état de non-guerre) à la paix positive (état de protection et de bien-être des individus), les institutions internationales ont progressivement tissé un tout indivisible : une conception globale de la paix, adossée à une conception élargie de la sécurité quand la paix coexistentielle était simplement appuyée sur la sécurité interétatique ». (p. 26) Ce parti pris indique un biais paradigmatique. L’ouvrage ne s’inscrit pas dans une tradition néoréaliste de diminuer le poids des organisations internationales ; bien au contraire, le modus vivendi libéral institutionnaliste de cet ouvrage est de mettre en lumière leur portée, certains auteurs se permettant même quelques détours constructivistes en insistant sur le développement et la diffusion de normes au sein des États-membres. Sous la direction de Guillaume Devin, les auteurs esquissent un portrait de ces structures qui ne font pas la Une, dont les actions sont souvent ignorées du plus grand nombre, voire même dont l'existence n’évoque que de vagues songes.
Aux croisées de cet ouvrage, le lecteur verra ses connaissances dépoussiérées sur l’AIEA, le PNUD et l’UNHCR entre autres. Les chapitres présentent souvent la même structure. Ils commencent par un rappel historique utile avant d’expliciter les principes directeurs des organisations. Ils détaillent les évolutions doctrinales et politiques, ainsi que leur impact éventuel sur le comportement des États-membres tout autant que la réticence de certains à leur soustraire une certaine autorité. Enfin, ils tentent de prendre une certaine distance sur leur quotidien pour établir les défauts de fonctionnement.
Laisser la parole aux praticiens a ses avantages, mais également ses inconvénients. Il est plus aisé de comprendre une institution de l’intérieur, ne serait-ce que pour avoir une idée précise de la manière dont travaille le personnel, dans quel environnement et avec quels moyens. L’accès aux documents internes est également simplifié. Toutefois, il est à craindre que certains auteurs ne parviennent pas à prendre suffisamment de recul pour dépasser la dimension du quotidien et garantir un champ d’étude plus large. En outre, la plupart des auteurs ne se soumettent pas aux exigences scientifiques d’un ouvrage universitaire, ce qui parfois donne l’impression de lire plus un témoignage qu’une étude sur une institution. Ces deux écueils sont présents mais suffisamment rares pour ne pas entacher la lecture de l’ouvrage.
Faire la paix tente également de dépasser une structure de l’ouvrage qui analyserait une organisation internationale par chapitre en apposant une composante thématique à chaque partie. Si cela peut fonctionner pour certains comme sur l’AIEA qui se penche plus spécifiquement sur la lutte contre la prolifération nucléaire, ce choix marque parfois le pas lorsque le thème est la raison d’être du chapitre. Ainsi verra-t-on un contraste entre l’excellent et clair chapitre sur le rôle de médiation des organisations intergouvernementales et le très intéressant mais quelque peu touffu chapitre sur la sécurité collective.
Il n’en demeure pas moins que Faire la paix est une contribution essentielle et destinée tant à un public universitaire qu’à un public informé mais non-expert. En effet, l’ouvrage adopte une approche, trop souvent ignorée dans les discours d’hommes politiques, de chroniqueurs et autres commentateurs, qui replace les institutions internationales comme acteurs à part entière de la scène internationale et de la construction de la paix. Il est certain que sans la volonté des États, elles n’existeraient pas ; toutefois, et cet ouvrage le montre, elles ont su s’adapter aux circonstances, tirer leur épingle du jeu et sur certains points au moins faire évoluer l’attitude des États-membres. Les auteurs ne sont pas dupes quant à la portée de leurs institutions et n’élaborent d’ailleurs pas de scénarios chimériques sur le rôle central qu’elles pourraient jouer au-delà de l’autorité étatique. Le concept de « gouvernance globale » n’a pas ici voix au chapitre. Cet ouvrage présente aussi synthétiquement et clairement que possible les vertus de ces organisations, leur importance, leurs défauts et le fait que même si elles ne peuvent pas garantir à elles seules la paix, elles y contribuent largement.