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Exporter la démocratie ?
Guy Hermet Paris, Presses de Sciences Po, 2008
La réédition de ce petit livre est fort utile d’une part, pour faire le point d’une manière efficace sur le concept et, d’autre part, pour évaluer l’éventuelle démocratisation du monde que certains entendent déceler au cours de ces dix dernières années.
Préciser le concept est d’autant plus important que l’on a souvent pris pour argent comptant, ces derniers temps, l’avènement de régimes dits démocratiques qui prenaient prétexte de la mise en place d’élections à peu près libres et d’une constitution fort libérale (sur le papier) pour demander leur ticket d’entrée dans le club des « pays respectables ». Or, la démocratie consiste en davantage. Elle résulte d’abord d’une société qui fait primer l’intérêt général avant l’intérêt de l’élite et qui accepte l’existence d’un conflit inhérent mais parfaitement maîtrisable par l’esprit de compromis. Les gouvernés acceptent des contraintes, les gouvernants abandonnent toute vision patrimoniale de l’État.
Comment devenir un régime démocratique ? La sortie de la dictature est un moment délicat, parfois tragique, mais il est rarement le fait d’une opposition populaire ou libérale qui s’emparerait du pouvoir au terme d’une lutte héroïque. En fait, il s’agit d’un calcul des dirigeants les plus lucides, qui rompent avec les radicaux du régime pour trouver un compromis avec les plus modérés de l’opposition. Le nouveau régime doit concilier les intérêts d’une majorité et se créer le minimum d’ennemis irréductibles. Dès lors, la jeune démocratie réussit si ses ambitions sont modestes et consensuelles. Le compromis peut être compromission, comme dans certains pays de l’Est, et faire peser une hypothèque durable sur le fonctionnement du nouveau régime (Bulgarie, par exemple). L’échec économique, empêchant de faire concorder démocratie et mieux-être populaire, est un autre écueil classique – ramenant, comme dans l’ex-monde soviétique, les tenants de l’autoritarisme au pouvoir. Ces derniers ne sont pas des perdants de l’Histoire, loin s’en faut. Les réussites économiques de certains régimes autoritaires ont offert un solide argument contre le « consensus de Washington » et ses exigences de démocratisation : le « consensus de Pékin » connaît une belle vigueur s’appuyant sur l’essor de la Chine des années 2000.
Ce partage des richesses est souvent le point nodal de la démocratisation. Il a d’abord été avancé que les démocraties ne pouvaient éclore que dans des économies développées ; le développement même était difficilement compatible avec la démocratisation, du fait des arbitrages difficiles qu’il imposait. Dans les pays en voie de développement, trop de démocraties formelles préservent, par un accord des partis traditionnels, les intérêts des classes aisées, et peut-être ceux des classes moyennes. Par réaction, l’opposition se méfie de l’argument démocratique et rajoute un adjectif au régime recherché, comme « bolivarien » pour le Venezuela. Toute imitation déjà dénoncée en 1997 par Farid Zakaria comme des « démocraties illibérales »
Face à ces contrefaçons faut-il imposer la démocratie ? C’est ce que se propose de faire l’Europe, distribuant subsides et promesses d’intégration, sans être trop regardante sur le fond. C’est aussi l’optique des États-Unis avec cette « démocratie transformationnelle » (Condoleezza Rice) qui vise à fonder une nation aux valeurs démocratiques, si besoin par la force. Largement condamnée aujourd’hui, la voie de la contrainte a pu aboutir sur des résultats valables autrefois (Allemagne et Japon après la guerre).
Ouvrage court et stimulant, il oblige à considérer la complexité du concept, et à se rappeler la difficulté de construire un modèle sur des sociétés non occidentales. Une analyse plus attentive de ce que l’on nomme « démocratie » dans de nombreux pays devrait nous inciter à plus de modestie sur le triomphe du modèle tant proclamé.