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Eurasie, au cur de la sécurité mondiale
Gaïdz Minassian (dir.) Paris, Autrement, 2011, 310 p.
Perçue comme un « espace privilégié de l’instabilité mondiale » (p. 6), comme le souligne Bertrand Badie dans sa préface, l’Eurasie fait l’objet d’un décryptage et d’une analyse très complète dans cet ouvrage dirigé par Gaïdz Minassian, chercheur associé à la FRS (Fondation pour la Recherche Stratégique), et regroupant des auteurs issus de différents milieux : chercheurs, journalistes, experts économiques, spécialistes des différents think tanks français et étrangers, à l’image de Harmit Bozarslan, Laure Delcour, Frédéric Encel, Richard Giragosian, Thierry Kellner ou encore Clément Therme.
Très complet, Eurasie, au cœur de la sécurité mondiale s’ouvre sur une introduction particulièrement bienvenue. Elle permet de saisir la réalité d’une région se cachant derrière un nom – inventé par la Russie en 1918 et remis récemment au goût du jour – résonnant comme « une enveloppe vide » (p. 10), mais se trouvant au carrefour de quatre grands États émergents qui l’influencent, la Chine, l’Iran, la Russie et la Turquie.
Après une première partie consacrée aux tendances générales de cette région, qui a retrouvé toute son importance avec les enjeux liés à la sécurité, à l’approvisionnement en pétrole et gaz et à l’implication croissante de la Chine (implantation du centre antiterroriste de l’Organisation de coopération de Shanghaï en Ouzbékistan, accroissement très important des échanges économiques et financiers, implantation de compagnies pétrolières et minières chinoises au Kazakhstan, au Turkménistan, dans le Caucase… ), l’ouvrage se focalise ensuite sur ces quatre puissances émergentes. Il étudie leurs stratégies régionales, tout en pointant leurs faiblesses, non seulement dans les rapports interétatiques, mais également au sein de leurs propres frontières : sont ainsi évoqués les cas du Caucase russe, du Kurdistan et des minorités en Turquie, et du blocage de la société en Iran.
Enfin, pendant de cette deuxième partie consacrée aux puissances, la troisième partie s’intéresse quant à elle aux États composant cette Eurasie et aux conflits dont elle est ou a été récemment le théâtre (Géorgie ou Haut-Karabagh notamment). Elle se penche également sur les spécificités de la région, tant sur le plan économique (les oligarques, la transition post-communiste…) que sociétal (le « gendercide », autrement dit la sélection sexuelle opérée à la naissance en faveur des garçons, le nouvel urbanisme post-soviétique, symbole de la mutation économique, ou encore la question de la mémoire). Cette dernière partie se clôt sur une galerie de portraits des dirigeants actuels des États eurasiatiques. Elle souligne leur impact sur la trajectoire de leur pays respectif depuis la fin de l’époque soviétique, ainsi que la très forte personnalisation du pouvoir.
C’est d’ailleurs cette approche pluridisciplinaire et alliant différents niveaux d’analyse qui fait la spécificité et la valeur de l’ouvrage. Il ne se cantonne pas à une énonciation factuelle, mais plonge au cœur des sociétés elles-mêmes et des enjeux qui y sont liés, sans pour autant négliger d’analyser les luttes d’influence se jouant entre puissances émergentes, Union européenne et États-Unis dans cette région charnière.
D’une grande clarté au regard de la complexité et de la réalité difficilement saisissable de la région eurasiatique, l’ouvrage atteint son objectif et se présente comme un état des lieux très complet des défis que connaît cette zone.