See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Espionnage et renseignement.
François Heisbourg Odile Jacob, Paris, 2012, 224 p.
François Heisbourg, spécialiste des affaires internationales, se livre à un questionnement sur la place et le statut du renseignement dans nos sociétés démocratiques. Il faut préciser que l’auteur n’a « jamais appartenu à quelque titre que ce soit » aux services de renseignement (p. 7). Cet ouvrage est davantage le produit d’une réflexion basée sur des sources ouvertes, comme des archives militaires. L’auteur souhaite fournir un cadre épistémologique à la notion générique de renseignement. Il nous expose tout d’abord les adaptations et ruptures stratégiques qu’ont connues ces services, notamment pour faire face aux défis engendrés par la mondialisation et la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les tensions susceptibles d’exister entre d’une part, la notion de démocratie puis d’autre part, les méthodes ou finalités de l’exercice du renseignement, seront ensuite soigneusement examinées. La dernière partie comprend des recommandations pratiques de l’auteur, quant au fonctionnement et à l’organisation du renseignement en France.
L’ambiguïté entre la « neutralité » de l’appellation renseignement et la « réalité péjorative » qu’est l’espionnage est explicitement levée par l’auteur (p. 17). Un service de renseignement, qui tenterait « d’arracher des informations à leur propriétaire » en opérant hors de la légalité (p. 19), est alors qualifié d’agence d’espionnage. Les méthodes utilisées permettraient donc de distinguer un service de renseignement d’un service diplomatique, ayant aussi pour vocation de traiter de l’information. S’il est reconnu que le secret est une caractéristique inhérente au travail des espions, l’auteur souligne toutefois que les services de renseignement n’auraient aucun avantage stratégique à traiter des « mystères ». En effet, « les mystères » seraient plutôt le produit résultant d’un « concours de circonstances » et d’actions « non préméditées » (p. 23). Ainsi, la prévision « du lieu et du moment exact » du déclenchement des « Révoltes arabes », ne rentrerait pas dans le cadre de compétence des services (p. 23).
Les informations obtenues via « le renseignement humain », sont superposées à celles obtenues par « le renseignement technique », notamment à travers l’utilisation de satellites (p. 49). Ce doublement des méthodes de recueil pouvait laisser présager d’une convergence structurelle des services de renseignement. L’auteur constate néanmoins que « les facteurs culturels » furent les principaux déterminants organisationnels des services (p. 63).
La Guerre froide est qualifiée de « guerre des espions » (p. 71), ou même de « guerre par procuration » (p. 79). On peut considérer que la pratique du renseignement durant le conflit a engendré deux concepts opératoires : l’introduction « d’agents d’influence » au sein du bloc adverse et l’espionnage scientifique dans le domaine nucléaire (p. 85).
« La communauté française du renseignement » regroupe actuellement près de « quatorze mille personnes » et fonctionne avec un budget d’environ « 1,4 milliard d’euros » (p. 169). La Direction générale des services extérieurs (DGSE) représente à elle seule la moitié des effectifs et du budget (p. 166). On peut alors s’interroger sur les relations entretenues entre les services. À titre d’exemple, la fusion entre les services de renseignement extérieur (DGSE) et intérieur (DCRI) – comme l’a fait la Suisse – « serait une erreur », chaque service abordant les problématiques selon un « angle d’attaque » spécifique. La différence d’approche serait donc « source de synergie » (p. 177). Ainsi, la DGSE « s’intéresse au terrorisme » alors que la DCRI « s’intéresse aux terroristes » (p. 179). François Heisbourg recommande aussi une normalisation « des relations entre services » et avec l’État. Ceci, afin d’éviter des « scandales » comme celui du Rainbow Warrior (p. 170). Il conviendrait également dans un État de droit « d’organiser le contrôle politique des services, tant par l’exécutif que par le parlementaire », afin que le renseignement soit considéré comme un service public (p. 152).