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Économie politique des migrations
Regards croisés sur léconomie La Découverte, Paris, 2010, 224 p.
L’association de jeunes chercheurs « Regards croisés sur l’économie » propose une heureuse initiative : réfléchir au lien entre économie et migrations, occasion pour « la science économique française [de] prendre à bras le corps un sujet qu’elle a trop longtemps négligé » (p. 14). Il en résulte une série d’articles, qui permettront, aussi bien à l’économiste qu’au non-initié, de cerner les nombreuses problématiques qui y sont abordées.
L’un des nombreux intérêts de l’ouvrage est de faire un sort définitif à de très nombreuses idées reçues. Ainsi, l’exil des cerveaux (brain drain) depuis les pays pauvres vers les économies prospères est analysé au-delà de son seul impact négatif pour les tissus économiques locaux. Hillel Rapoport démontre qu’il faut également envisager ces migrations, qui concernent au moins 20 millions de personnes, à travers les externalités positives qu’elles peuvent engendrer. À savoir chez les populations « l’incitation importante à l’investissement éducatif que représentent les perspectives d’émigration » (p. 117) ; l’importance des capitaux (remittances) et des transferts de technologie que les migrants génèrent vers leur territoire d’origine ; le rôle stratégique que les diasporas jouent dans les stratégies de puissance de certains États. À propos de la Chine, Claire Lebarz remarque notamment le changement de positionnement du gouvernement par rapport aux logiques migratoires puisque celui-ci « change la formule "rentrer et servir le pays" pour le slogan "servir le pays depuis l’étranger" » (p. 107) tout en s’efforçant de favoriser le retour en Chine de ressortissants aux niveaux de qualification supérieurs (les haigui).
L’ouvrage s’efforce également de refuser, sur une question sensible, aussi bien les approches catastrophistes que béates (wishful thinking), notamment sur les questions statistiques. Sur la question des migrations climatiques, François Gemenne et Agathe Cavicchioli considèrent que certaines estimations s’avèrent totalement controuvées, parce que soit insuffisantes soit orientées. La non-prise en compte des politiques d’atténuation des risques environnementaux actuelles et à venir entraînent ipso facto des chiffrages de populations vulnérables sans doute excessifs : 200 millions de personnes selon le rapport Stern, un milliard selon l’ONG Christian Aid… alors que « ces chiffres, en réalité, reflètent simplement le nombre de personnes habitant dans les régions les plus exposées […sans tenir] compte des politiques d’atténuation qui seront mises en place d’ici 2050 ».
Loin des propos globalisants sur la mondialisation, Catherine Wihtol de Wenden explique que celle-ci est certes incontournable dans « la géographie des migrations contemporaines » (p. 47) : jamais les migrations internationales n’ont été aussi massives (214 millions de migrants internationaux). Toutefois, loin de s’insérer dans des logiques spatiales exclusivement planétaires, « la mondialisation des migrations s’accompagne aussi et paradoxalement d’une régionalisation des flux migratoires » (p. 51) favorisant l’avènement de « systèmes complexes autour d’une même région où des complémentarités se construisent entre zones de départ et d’accueil » (p. 51). Les analyses des systèmes migratoires du continent américain et du territoire russe sont à cet égard particulièrement éclairantes.
Quelques pages permettent d’appréciables remises en perspective historique. Gérard Noiriel livre « une histoire du modèle français d’immigration » (p. 32) dans laquelle il décrypte la précocité des logiques d’immigration en France en trois vagues successives depuis le Second empire – notamment inhérentes au « poids important et tardif de la paysannerie [qui] s’est traduit par un manque de main-d’œuvre dans l’industrie » (p. 35). Pierre-André Rosenthal permet au lecteur de prendre un recul diachronique bénéfique afin de ne pas sur-actualiser à l’excès le phénomène migratoire dans la mesure où « le principe de mobilité est au cœur du fonctionnement des sociétés anciennes » (p. 74). N’est-il pas, par exemple, possible, de mettre en parallèle la catégorie actuelle nouvelle des « transmigrants » – avec « la mobilité comme mode de vie » et dont « la vie s’effectue "ici" et "là-bas" dans un entre-deux alimenté par la force des liens migratoires transnationaux » (p. 56) – avec les migrations médiévales temporaires vers de grands pôles régionaux attractifs (Plaine du Pô, Bassin parisien…) qui, en Europe, « concernait au total plusieurs centaines de milliers de personnes » (p. 75) ?