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e temps des humiliés. Pathologie des relations internationales
par Bertrand Badie - Paris, Odile Jacob, 2014, 249 p.
Après La diplomatie de connivence (La Découverte, 2011), Bertrand Badie continue de proposer une réflexion sur l’évolution du système international post-westphalien, en insistant notamment sur les rapports entre l’Occident et le reste du monde. À travers une approche sociologique, il entreprend cette fois de démontrer que l’humiliation, en tant que « prescription autoritaire d’un statut inférieur à celui souhaité et non conforme aux normes énoncées » (p. 13) est un élément central du système international, de sa structure et de son fonctionnement.
Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe, le système westphalien d’équilibre des puissances se délite progressivement. La colonisation et les guerres industrielles vont créer des peuples déclassés, des cultures considérées comme inférieures, des « ennemis héréditaires » et des capitulations catastrophiques – le traité de Versailles en 1918 est l’exemple même de l’humiliation vue comme objectif final, au lieu d’un retour à un équilibre pacifique. Ces cortèges d’humiliations irriguent encore le système international.
La colonisation, basée sur l’exception et l’outrance (p. 99), a durablement structuré les relations internationales contemporaines. B. Badie présente en quelques pages les biographies de dirigeants post-coloniaux, qui se révèlent particulièrement significatives (p. 108 et s.). Zhou Enlai, Hô Chi Minh, Jawaharlal Nehru, Soekarno, Ahmed Ben Bella, Hafez Al-Assad, Mouammar Kadhafi, etc., tous présentent un parcours relativement similaire : souvent né dans une famille bourgeoise autochtone, parti faire des études dans un Occident admiré, heurtant le plafond de verre du système colonial et décidant de le faire voler en éclat. Dans ce processus, la plupart ont connu l’emprisonnement, avant d’incarner l’indépendance d’un État. Les mythes nationaux intègrent ces humiliations personnelles, qui rejaillissent de différentes manières sur la posture internationale du pays. L’auteur établit ainsi une classification (p. 71) permettant de relier différentes formes de diplomatie – revancharde, souverainisme, contestation, déviance – aux différents types d’humiliations – respectivement : rabaissement, déni d’égalité, relégation, stigmatisation. Par ailleurs, la déconnection entre la gestion politique de ces humiliations par les États victimes selon l’intérêt qu’ils peuvent en tirer et la sensibilité des sociétés à ces mêmes humiliations peut être le ressort de mouvements sociaux importants, dont l’exemple le plus frappant est sans doute le « printemps arabe » (p. 173).
L’exercice n’est pas gratuit. Il appelle à une réflexion profonde sur l’Altérité dans les relations internationales. Cet ouvrage encourage le diplomate, le stratège comme le citoyen à intégrer, absolument, l’empathie dans son analyse et son rapport au monde. Il ne s’agit pas de morale, d’éthique ou de relativisme culturel, mais bien de l’intérêt qu’ont nos gouvernements à ne pas renforcer les rancœurs, qui constituent une menace de fond pour la stabilité internationale. Au-delà des questions d’excuse ou de pardon pour des erreurs passées, il s’agit en réalité de ne pas les reproduire et de repenser les schémas actuels de l’action internationale. Car le système continue d’engendrer aujourd’hui des humiliations – et donc des inégalités – qui, s’ajoutant à celles d’hier, viennent nourrir les fondamentalismes et extrémismes de tout bord.
À l’instar de la diplomatie de connivence ou de club, « les diplomaties antisystème » (p. 195), produits des humiliations passées et présentes, s’ajoutent aux obstacles à la constitution d’une véritable communauté internationale régie par des principes reconnus et appliqués par tous. Il est pourtant urgent, rappelle B. Badie, de comprendre l’intérêt stratégique d’un système inclusif et égalitaire. « Il s’agit là d’une posture nécessaire, à laquelle les bourgeoisies durent se résoudre jadis en admettant la pleine citoyenneté d’une classe ouvrière qu’elles avaient longtemps méprisée et dont les dangers supposés les obsédaient. » (p. 233). En somme, que la Cité internationale devienne un jour une démocratie.
Durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe, le système westphalien d’équilibre des puissances se délite progressivement. La colonisation et les guerres industrielles vont créer des peuples déclassés, des cultures considérées comme inférieures, des « ennemis héréditaires » et des capitulations catastrophiques – le traité de Versailles en 1918 est l’exemple même de l’humiliation vue comme objectif final, au lieu d’un retour à un équilibre pacifique. Ces cortèges d’humiliations irriguent encore le système international.
La colonisation, basée sur l’exception et l’outrance (p. 99), a durablement structuré les relations internationales contemporaines. B. Badie présente en quelques pages les biographies de dirigeants post-coloniaux, qui se révèlent particulièrement significatives (p. 108 et s.). Zhou Enlai, Hô Chi Minh, Jawaharlal Nehru, Soekarno, Ahmed Ben Bella, Hafez Al-Assad, Mouammar Kadhafi, etc., tous présentent un parcours relativement similaire : souvent né dans une famille bourgeoise autochtone, parti faire des études dans un Occident admiré, heurtant le plafond de verre du système colonial et décidant de le faire voler en éclat. Dans ce processus, la plupart ont connu l’emprisonnement, avant d’incarner l’indépendance d’un État. Les mythes nationaux intègrent ces humiliations personnelles, qui rejaillissent de différentes manières sur la posture internationale du pays. L’auteur établit ainsi une classification (p. 71) permettant de relier différentes formes de diplomatie – revancharde, souverainisme, contestation, déviance – aux différents types d’humiliations – respectivement : rabaissement, déni d’égalité, relégation, stigmatisation. Par ailleurs, la déconnection entre la gestion politique de ces humiliations par les États victimes selon l’intérêt qu’ils peuvent en tirer et la sensibilité des sociétés à ces mêmes humiliations peut être le ressort de mouvements sociaux importants, dont l’exemple le plus frappant est sans doute le « printemps arabe » (p. 173).
L’exercice n’est pas gratuit. Il appelle à une réflexion profonde sur l’Altérité dans les relations internationales. Cet ouvrage encourage le diplomate, le stratège comme le citoyen à intégrer, absolument, l’empathie dans son analyse et son rapport au monde. Il ne s’agit pas de morale, d’éthique ou de relativisme culturel, mais bien de l’intérêt qu’ont nos gouvernements à ne pas renforcer les rancœurs, qui constituent une menace de fond pour la stabilité internationale. Au-delà des questions d’excuse ou de pardon pour des erreurs passées, il s’agit en réalité de ne pas les reproduire et de repenser les schémas actuels de l’action internationale. Car le système continue d’engendrer aujourd’hui des humiliations – et donc des inégalités – qui, s’ajoutant à celles d’hier, viennent nourrir les fondamentalismes et extrémismes de tout bord.
À l’instar de la diplomatie de connivence ou de club, « les diplomaties antisystème » (p. 195), produits des humiliations passées et présentes, s’ajoutent aux obstacles à la constitution d’une véritable communauté internationale régie par des principes reconnus et appliqués par tous. Il est pourtant urgent, rappelle B. Badie, de comprendre l’intérêt stratégique d’un système inclusif et égalitaire. « Il s’agit là d’une posture nécessaire, à laquelle les bourgeoisies durent se résoudre jadis en admettant la pleine citoyenneté d’une classe ouvrière qu’elles avaient longtemps méprisée et dont les dangers supposés les obsédaient. » (p. 233). En somme, que la Cité internationale devienne un jour une démocratie.