Diplomatie à la française
Charles Cogan Paris, Jacob-Duvernet, 2008, 288 p.
La diplomatie française vue par un ancien agent de la CIA apparaît comme une entreprise originale, bien que le lecteur puisse craindre légitimement d’y retrouver des présupposés sur la France et les Français en général. Néanmoins, cet ouvrage s’inscrit dans le cadre d’une série d’études proposée par les Presses de l’United States of Institute of Peace, dont l’ambition est d’analyser les comportements des négociateurs des pays qui ont un intérêt pour les États-Unis : Chine, Russie, Japon, Allemagne. La démarche vise à la constitution d’un outil synthétisant les perceptions et les représentations que se font les acteurs étatiques sur les autres et sur eux-mêmes. L’ouvrage privilégie deux approches caractérisant l’analyse constructiviste. D’une part, l’étude des croyances et valeurs qui forgent l’identité et les idées d’un groupe donné, d’autre part, l’analyse des conceptions du chef de l’État dans le champ des relations internationales, qui sont partagées par ce même groupe.
La thèse ici développée par Charles Cogan est que les comportements des diplomates français renvoient à l’image et à la place de la France sur la scène internationale : pays à l’esprit cartésien, plus soucieux de la forme que du fond, amoureux de la dissertation et de la flamboyance verbale, querelleur avec la superpuissance du moment et farouchement indépendant comme en témoigne son histoire et son identité… Ce qui peut apparaître alors comme l’énumération de croyances sur la France de la part d’un Américain semble trouver un fond de vérité par la méthode employée par l’auteur : croiser les témoignages des diplomates, en retraite ou encore en fonction, qu’ils soient français ou étrangers, et y ajouter les observations de militaires, d’hommes d’affaires et de journalistes. Ses lectures et ses nombreux entretiens, associés à un très bon réseau de correspondants aussi bien à Paris qu’à Washington, lui permettent de dégager des éléments intéressants, en vue de discerner le « style à nul autre pareil » (p. 24) des diplomates français.
Deux points intéressants sont soulevés dans l’ouvrage : l’idée de « Grande Nation » (p. 274) et l’empreinte laissée par Charles de Gaulle sur la conduite diplomatique française. Le premier relève plus de la relation qu’ont les Français et leurs élites avec leur histoire. L’idée de Grande Nation ne fait pourtant pas partie du vocabulaire français, ce que reconnaît l’auteur. Les négociateurs américains semblent d’ailleurs s’attacher à cette idée que se feraient les diplomates français sur eux-mêmes, ou du moins qui déterminerait leur code de conduite dans les négociations. Dès lors, Charles Cogan analyse non seulement les représentations des diplomates français, mais aussi celles de leurs homologues américains sur la diplomatie française. En second lieu, l’auteur esquisse les aspects idéologiques de la politique extérieure du Général de Gaulle. À la tête du pays, il aurait marqué la diplomatie française par cette attitude constante : l’intransigeance sur l’indépendance et la défense des intérêts de la France pour faire oublier la « faiblesse » de 1940 (p. 107). La Constitution française favorable au président de la République a contribué à imposer le style gaullien à l’ensemble des institutions républicaines. Pour l’auteur, le Quai d’Orsay serait ainsi l’un des derniers bastions où l’on entretient l’héritage gaulliste.
Cependant, entretenir un état d’esprit ne veut pas forcément dire que l’on prendra des décisions en fonction de celui-ci. L’ouvrage propose ainsi une comparaison de trois moments historiques au cours desquels la diplomatie française s’est illustrée. Il en ressort une audace française dans les prises de position, qui toutefois évoluent progressivement au cours des négociations de l’intransigeance de départ au compromis plus ou moins forcé à l’arrivée. Dans des cas rares et extrêmes, la France a refusé le compromis, si celui-ci revenait à l’alignement sur la superpuissance américaine : le discours contre la guerre en Irak de Dominique de Villepin, le 14 février 2003, applaudi dans l’enceinte du Conseil de sécurité de l’ONU, s’inscrivait dans le cadre d’un code de conduite typiquement français aux yeux des négociateurs américains.
Mais ce style français s’est-il maintenu jusqu’à aujourd’hui ? Par rapport à la première édition française de 2005, Charles Cogan ajoute à sa seconde édition un court épilogue sur la diplomatie française menée par Nicolas Sarkozy : ce dernier marque son action diplomatique par une approche qui n’est plus celle de ses prédécesseurs. Mais il semble pour l’auteur – et c’est là son point de vue très personnel – que la lassitude américaine pour les relations houleuses avec la France et « l’hostilité de l’islamisme radicale » face à l’Occident (p. 322) renforceront naturellement les liens franco-américains.