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Destruction massive. Géopolitique de la faim
Jean Ziegler Paris, Seuil, 2011, 352 p.
La réduction de moitié de la part d’individus souffrant de la faim d’ici 2015, le premier des objectifs du Millénaire pour le développement, est bien loin d’être accompli. Dans son ouvrage, le sociologue suisse Jean Ziegler s’efforce de présenter le défi que représente l’alimentation de la part la plus pauvre de la population mondiale.
Ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, l’auteur a alors parcouru le monde pour dresser le tableau le plus complet qui puisse être de l’état du droit reconnu à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’ouvrage est remarquable en termes de précision des données et des faits. L’auteur y décortique le phénomène de la faim, et le définit précisément, en décrivant les notions distinctes de sous-nutrition, déficit quantitatif de nourriture, malnutrition, déficit qualitatif des éléments nutritifs. Plus encore, la faim, conséquence de la pauvreté, revêt des aspects différents selon les lieux où elle se manifeste et aggrave des situations déjà désastreuses. Elle engendre des maladies mortelles, affaiblit les populations face à des fléaux préexistants, tel le sida, et génère violence et répression contre ses victimes. Enfin, elle est souvent chronique, touchant plusieurs générations et est encore perçue comme une fatalité.
En 2010, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estimait à 925 millions le nombre de personnes sous-alimentées. Pourtant, l’auteur est formel : « dans son état actuel l’agriculture mondiale pourrait nourrir 12 milliards d’êtres humains » (p. 13). Alors, il identifie les responsables de cette distribution déséquilibrée et massivement meurtrière. L’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, garants de la libéralisation des marchés, sont selon lui « les trois cavaliers de l’apocalypse de la faim » (p. 175). Cette triade a délibérément laissé des entreprises voraces, telles le marchand de grain Cargill, prendre le contrôle du marché agro-alimentaire. J. Ziegler explique ainsi le caractère systémique de la faim. Ses exemples reflètent une gouvernance économique qui se veut globale et ne prend pas en compte les conséquences dévastatrices au niveau local de ses décisions. L’auteur évoque par exemple l’ordre donné par le FMI à l’État nigérien de se débarrasser de 40 000 tonnes de céréales que ce dernier conservait pour tenter de limiter les famines dues aux effets de la sécheresse, des invasions de criquets ou encore des inondations. La raison de cette injonction : une telle réserve déséquilibrait les marchés.
Géopolitique de la Faim fait écho à l’ouvrage intitulé Géographie de la faim, du brésilien Josué de Castro, auteur d’une cinquantaine d’études sur le sujet. Bien qu’on ne puisse douter de l’objectivité des informations que nous livre l’auteur, il est évident qu’il a avant tout voulu, comme J. de Castro avant lui, aborder la question de la faim de façon engagée. Au-delà de l’état des lieux de la situation, il cherche à interpeller et à pousser à la réflexion sur le massacre en cours. J. Ziegler rappelle que certes, « personne n’a faim en Suisse » (p. 85), mais que ce modèle économique sur lequel le confort de certains engendre des dizaines de millions de mort, chaque année. Avec une pointe de cynisme, il met en exergue la nécessité de repenser le système dans son ensemble et de prendre la mesure de la responsabilité que portent nos institutions dans la destruction massive opérée par la faim.