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Demain, qui gouvernera le monde ?
Jacques Attali Paris, Fayard, 2011, 412 p.
Le titre du dernier ouvrage en date de Jacques Attali est trompeur. On s’attend en ouvrant ce gros volume de plus de 400 pages à lire le prolongement de la Brève histoire de l’avenir qui fut en 2006 un beau succès de librairie (avant d’être décliné en poche, en livre-audio et même en bande dessinée). Il faut pourtant attendre le neuvième des dix chapitres que compte ce livre pour découvrir enfin ce que pourrait être le gouvernement du monde demain.
Les huit premiers campent le décor. C’est un peu long pour une introduction. Jacques Attali y brosse à grands traits une ambitieuse histoire de l’humanité et de ses laborieuses tentatives d’unification. La guerre fut longtemps l’instrument de l’unification du monde : Alexandre, Jules César, Attila, Charlemagne, s’ils ne furent pas maîtres du monde, furent maîtres de mondes bornés par les connaissances géographiques de leurs temps. Puis, vers le xive siècle, la paix devint la condition de l’expansion de l’ordre marchand. L’histoire de l’humanité se lit dès lors comme la succession de gouvernements marchands organisés autour de « cœurs » : Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres et au xxe siècle, Boston, New-York et enfin la Californie. Cette présentation n’est pas nouvelle : empruntée à F. Braudel, J. Attali la répète de livres en livres depuis Lignes d’Horizon (Fayard, 1990). A supposer qu’elle ait jamais été valable, elle ne l’est certainement plus aujourd’hui. L’ordre mondial est polycentrique et le sera de plus en plus. Attali le confesse : américain, chinois, indien ou européen, le « dixième cœur » reste introuvable.
Le tableau qu’il dresse de l’état actuel du monde est particulièrement alarmiste. L’anarchie menace. Certains problèmes locaux, faute d’être maîtrisés, s’étendront à toute la planète : désordres financiers en chaîne, démographie hors de contrôle, guerres en cascade. D’autres problèmes sont globaux par nature : la pénurie des matières premières, la destruction de la nature ou la destruction de la Terre par un astéroïde (sic). Le plus préoccupant, nous dit Jacques Attali, est que rien n’est fait pour s’en protéger. Les États poursuivent des objectifs égoïstes et les institutions internationales, qui sont placées sous leur tutelle, sont dépourvues de moyens. Même si le mythe d’un gouvernement mondial secret a la vie longue, le monde souffre aujourd’hui d’un défaut de gouvernement.
Arrivé à la page 300, Jacques Attali esquisse enfin une réponse à la question qu’il pose. Dans un monde idéal, dit-il, on pourrait imaginer un gouvernement démocratique mondial. Comme Jean-Jacques Rousseau l’avait fait pour la Pologne ou la Corse, Jacques Attali en dessine les contours pour la planète. Le Parlement serait tricaméral avec une « Chambre de patience » ; l’Exécutif serait coiffé par un heptavirat composé de sept membres désignés pour sept ans non reconductibles ; une Cour suprême mondiale serait chargée de faire respecter le Codex mondial des lois et traités.
Jacques Attali – que l’on redoutait un instant s’être égaré du côté d’Asimov ou de Herbert – sait qu’un monde pareil ne se réalisera pas. Il a la sagesse, sinon la modestie, de proposer une mise en place graduelle, qui suppose la transformation de certaines organisations existantes (on retrouve sa vieille marotte d’un Conseil économique et social de l’Organisation des Nations unies). On peut être bluffé par tant d’encyclopédisme et d’audace visionnaire. On a aussi le droit d’être plus sceptique.