See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Demain la faim
Frédéric Lemaître Paris, Grasset, 2009, 144 p.
La fiction qui ouvre ce livre met en scène un conflit né du colonialisme agraire qui se déploie actuellement entre nations importatrices et pays peu peuplés du Sud ; c’est un des aspects des développements récents du problème de la faim. Mais, nous rappelle l’auteur, avant même les émeutes de 2008, celle-ci « ne cessait de progresser malgré les beaux discours et les généreux engagements des pays riches : 3 milliards de personnes se privent régulièrement de nourriture, environ 2 milliards souffrent de malnutrition et 1 milliard de faim » (p. 18-19).
Parmi les six livres (sauf omission) qui, depuis deux ans, sont parus en France sur ce sujet, prévaut une approche quantitative de la question classique depuis Malthus. L’auteur n’y fait pas exception, examinant l’explosion de la demande alimentaire, aggravée par le recours aux agrocarburants et dont résulte l’élévation récente des prix. À la suite de Philippe Chalmin[1], il estime que les besoins alimentaires devraient doubler d’ici à 2050. Cette estimation laisse déjà apparaître les limites de cette approche quantitative, si l’on considère que pour Michel Griffon[2] (et la Banque mondiale) ces besoins devraient quadrupler. Quant à Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la question de la faim, il va répétant qu’il y aurait actuellement suffisamment de production sur la terre pour nourrir correctement tous les hommes…
Où donc se pose le vrai problème ? Sans nul doute dans cette prise de conscience que « sur les 5,5 milliards d’habitants que compte le monde en développement, 3 milliards, c’est-à-dire environ la moitié de la population mondiale totale, vivent en zones rurales. De ces habitants ruraux, environ 2,5 milliards (83 %) vivent au sein de ménages impliqués dans l’agriculture et 1,5 milliard (60 % des paysans ) appartiennent à des ménages de petits paysans. L’agriculture est le moyen de subsistance de 83 % des ruraux du Sud, lesquels sont la moitié de l’humanité » (p. 105). Il faut alors accuser la « myopie du Nord qui pensait pouvoir transformer les pauvres des champs en pauvres des villes qui finiraient par s’enrichir grâce à la merveilleuse mondialisation » (p. 103). Ce schéma ne marche pas : si les pauvres s’agglutinent dans les villes, cette « urbanisation de la pauvreté »[3] risque, à terme, de doubler la population misérable du bidonville mondial, déjà estimé à 1 milliard de personnes.
Rien d’étonnant alors si, dans ces villes tentaculaires du Sud, les « émeutes de 2008 ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend » (p. 9). Face à elles et à ce qui peut se passer dans les campagnes, « les raisons d’être optimistes » invoquées in fine par l’auteur peuvent paraître légères. Certaines d’entre elles proviennent d’ailleurs assez curieusement de cette Afrique toujours considérée par l’auteur, selon l’expression consacrée, comme « mal partie » : le Burkina Faso avec ses aménagements écologiques dans le Sahel (p. 135) et le Malawi (p. 130) avec des mesures de subventions aux intrants agricoles, prises contre l’avis de ses principaux bailleurs de fonds. Mesures qu’il faut bien appeler protectionnistes, n’en déplaise à l’auteur qui les considère comme suicidaires, « notamment pour l’Afrique » (p. 121) ! La modernisation de l’agriculture, la fameuse révolution verte, ne saurait en effet toucher « le milliard d’actifs [agricoles, qui] n’ont que des outils manuels et dont la moitié n’utilisent ni semences sélectionnées, ni engrais minéraux, ni pesticides » (p. 118). En revanche, le système productif qui présente des signes de fatigue chez les riches (p. 50) n’est pas à bout de souffle pour eux, comme le montre aujourd’hui sur tous les continents la multiplication des expériences d’agriculture paysanne, faisant appel aux ressources naturelles et culturelles locales, relayées par des associations de plus en plus fortes, exigeant l’accès à la terre qui leur est trop souvent refusé. Face à l’impuissance ou aux aventures incertaines des gouvernements, n’est-ce pas là que résident les vraies raisons d’espérer ?