Défense européenne, la grande illusion
Jean-Dominique Merchet Paris, Larousse, coll. « À dire vrai », juin 2009, 126 p.
Parmi une littérature sur la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) largement consensuelle, la publication d’un petit essai provocateur et iconoclaste à l’égard de cette politique, rédigé par un fin connaisseur de la chose militaire, est de nature à éveiller la curiosité.
Le ton, volontairement pamphlétaire, est donné dès la première phrase : « La défense européenne est une illusion. Elle ne verra pas le jour et c’est tant mieux, car c’est une illusion dangereuse » (p. 5). Cette posture que la suite du propos ne dément pas, conduit Jean-Dominique Merchet, journaliste de Libération et animateur du blog « secret-défense », à chercher à démontrer que la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) patiemment élaborée au sein de l’UE depuis les sommets européens de Cologne et Helsinki (1999) n’existe heureusement pas car elle n’est pas une politique de défense. La première partie du propos (p. 5-64) procède ainsi d’un témoignage, à charge mais parfois justifié sur les limites, écueils et faux-semblants des avancées de la PESD depuis maintenant dix ans. La deuxième, parfois plus éloignée de la problématique initiale (p. 65-126), relève d’avantage de larges détours par l’histoire. Toutes deux sont destinées à alimenter la thèse selon laquelle il n’existe pas de politique européenne de défense car la PESD n’est ni « politique » ni « de défense ». Dans cet exercice, Jean-Dominique Merchet pose des regards critiques utiles à la compréhension des processus en cours, mais se heurte aussi aux limites de l’exercice pamphlétaire à l’égard d’un processus politique aussi complexe que la PESD. Les références abruptes et déroutantes à Carl Schmitt (p. 82-83) et à la nécessité d’un ennemi commun comme « le monde musulman » (p. 123), pour énoncer les conditions du politique européen ou de l’Europe politique, auraient ainsi mérité d’être plus argumentées.
L’auteur rappelle cependant à juste titre que l’esprit, les étapes initiales comme les schémas institutionnels et modes opératoires de la construction européenne sont en contradiction avec toute idée de puissance – entendue ici essentiellement comme capacité et volonté de recourir à la force pour faire triompher ses vues et intérêts. Il s’attache dès lors à démontrer avec force que la PESD, en s’inscrivant pleinement dans une tradition européenne de petits pas chargés de compromis et de refus de la puissance au sens le plus classique du terme, est très loin d’être une véritable politique de défense. S’il s’adresse à des dirigeants français ayant sur-mobilisé le concept d’Europe puissance en construction pour vendre à l’opinion la PESD aussi bien que chaque nouveau traité européen, l’argument est bienvenu et difficilement contestable : la PESD n’est effectivement pas, et ne semble pas devoir devenir l’instrument d’une politique de puissance au sens traditionnel du terme. Réconcilier discours et action politiques invite nos dirigeants à renoncer à la présenter comme telle, car sauf à redéfinir la notion même de puissance afin de la rendre euro-compatible (puissance normative, puissance civile, puissance tranquille, etc.), l’argument selon lequel la PESD est le signal de l’émergence d’une Europe puissance ne trompe plus personne ou presque. Le fait que la PESD ne soit pas une politique de défense comme les autres est aussi quasi unanimement reconnu, même par les plus farouches partisans d’une lecture « haute » de ce qu’est ou devrait être la politique européenne de défense.
On aurait alors envie que Jean-Dominique Merchet, observateur avisé des questions de défense et de leur dimension européenne, s’attache non pas à démolir les fantômes d’un discours politique français sur l’Europe puissance via la PESD battant déjà de l’aile, pour élaborer une analyse de ce que signifie cette PESD en tant que politique extérieure hybride, ni politique de défense ni politique étrangère et de sécurité, ni politique militaire ni politique civile, ni politique nationale ni politique européenne, mais un peu tout cela à la fois…