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Dear Leader
par Jang Jin-sung - Londres, Rider, 2014, 316p.
Dans un régime aussi fermé et mystérieux que celui de la Corée du Nord, bénéficier du témoignage de qui connaît le système de l’intérieur est rare et précieux. Jang Jin-sung s’est évadé de Corée du Nord en 2004. Il y occupait jusque-là une place privilégiée, puisqu’il faisait partie des « admis », cette petite élite ayant eu l’honneur d’être invitée à une entrevue avec Kim Jong-il en personne. Poète de cour, il travaillait également au Bureau 101 du United Front Department (UFD), chargé des relations avec la Corée du Sud, et avait à ce titre accès à incomparablement plus d’informations que le citoyen nord-coréen ordinaire, tant sur le monde extérieur que – surtout – sur les rouages du régime. Il réalise qu’il n’a d’autre choix que de fuir son pays lorsqu’il perd un livre issu de Corée du Sud qui lui avait été confié et qui ne devait pas quitter l’intérieur du Bureau sous peine de mort. S’ensuit une évasion haletante en compagnie d’un ami, par la frontière Nord du pays et la Chine, avec pour objectif de rejoindre la Corée du Sud.
Le livre est ainsi partagé entre le récit de la vie et des mésaventures de l’auteur, et des interludes où il révèle ce qu’il a pu apprendre du fonctionnement du régime. Si l’histoire de son évasion est captivante, l’intérêt principal de l’ouvrage réside sans aucun doute dans les perspectives inédites qu’il offre sur ce pays méconnu. Jang Jin-sung révèle, par exemple, comment Kim Jong-il a véritablement institutionnalisé le culte de la personnalité afin d’accaparer le pouvoir et de s’assurer qu’il succèderait à son père, Kim Il-sung – ce qui était à l’origine loin d’être évident. À la tête de l’Organisation and Guidance Department (OGD), il mit en place et instrumentalisa ce culte pour progressivement court-circuiter le fonctionnement normal du pouvoir. L’auteur montre que Kim Jong-il avait, dès les années 1980 et longtemps avant la succession officielle, dépossédé son père de la quasi-totalité du pouvoir réel ; ce dernier n’était plus à la tête du pays que nominalement. L’OGD conserve encore aujourd’hui une influence prépondérante dans la politique nord-coréenne, en ce qu’elle constitue le lieu réel du pouvoir.
Dear Leader expose aussi le profond cynisme des dirigeants nord-coréens, et sape les espoirs de ceux qui espèrent amener le régime à s’ouvrir à travers la négociation. Les relations avec la Corée du Sud ne sont perçues que comme un moyen d’obtenir le maximum d’aide – économique et humanitaire – en faisant le minimum de concessions réelles. Le pays aura plusieurs fois recours à des escalades militaires purement artificielles, afin qu’une retombée des tensions soit vue comme un pas en avant et débloque encore davantage d’aide extérieure. Selon les mots de Kim Jong-il, il est facile de « faire chanter » la Corée du Sud ou de « l’ignorer » complètement. Les États-Unis seraient, pour leur part, « prêts à croire n’importe quel mensonge s’il a un semblant de logique » (p. 253). Seule la Chine semble encore être respectée et crainte, car d’elle dépend la survie du régime.
Le sentiment que l’auteur ne révèle qu’une parcelle de ce qu’il sait peut parfois être frustrant, d’autant que le récit de son évasion occupe la majorité du livre – dont les deux tiers se passent en fait en Chine – et que les analyses plus poussées du fonctionnement de la Corée du Nord ne sont que sporadiques. L’essentiel des informations est également évidemment invérifiable.
Le portrait de la Corée du Nord dressé par l’ouvrage est en tout cas profondément pessimiste, poignant et terrifiant. Lorsque le narrateur – qui mène une vie aisée à Pyongyang – revient dans son village natal, il le trouve ravagé par la famine à cause de l’effondrement du système de rations étatiques. Un homme est fusillé devant lui pour avoir volé un sac de riz, et il croise le chemin d’une division chargée d’évacuer les cadavres de morts de faim. Le régime semble recroquevillé sur lui-même et ne se concentre plus que sur sa survie : le département dans lequel travaillait Jang Jin-sung a cessé ses activités de propagande à destination des Coréens du Sud depuis 1990, car l’écart de développement a rendu l’entreprise vaine. Il ne se concentre désormais plus que sur ses propres citoyens. La rencontre du narrateur avec Kim Jong-il ouvre le livre et en donne le ton : Jang Jin-sung y est témoin des pleurs du « Cher dirigeant ». Ce ne sont pas, pour lui, des larmes de compassion ou d’émotion, mais celles d’un « homme désespéré » (p. XXVI).
Le livre est ainsi partagé entre le récit de la vie et des mésaventures de l’auteur, et des interludes où il révèle ce qu’il a pu apprendre du fonctionnement du régime. Si l’histoire de son évasion est captivante, l’intérêt principal de l’ouvrage réside sans aucun doute dans les perspectives inédites qu’il offre sur ce pays méconnu. Jang Jin-sung révèle, par exemple, comment Kim Jong-il a véritablement institutionnalisé le culte de la personnalité afin d’accaparer le pouvoir et de s’assurer qu’il succèderait à son père, Kim Il-sung – ce qui était à l’origine loin d’être évident. À la tête de l’Organisation and Guidance Department (OGD), il mit en place et instrumentalisa ce culte pour progressivement court-circuiter le fonctionnement normal du pouvoir. L’auteur montre que Kim Jong-il avait, dès les années 1980 et longtemps avant la succession officielle, dépossédé son père de la quasi-totalité du pouvoir réel ; ce dernier n’était plus à la tête du pays que nominalement. L’OGD conserve encore aujourd’hui une influence prépondérante dans la politique nord-coréenne, en ce qu’elle constitue le lieu réel du pouvoir.
Dear Leader expose aussi le profond cynisme des dirigeants nord-coréens, et sape les espoirs de ceux qui espèrent amener le régime à s’ouvrir à travers la négociation. Les relations avec la Corée du Sud ne sont perçues que comme un moyen d’obtenir le maximum d’aide – économique et humanitaire – en faisant le minimum de concessions réelles. Le pays aura plusieurs fois recours à des escalades militaires purement artificielles, afin qu’une retombée des tensions soit vue comme un pas en avant et débloque encore davantage d’aide extérieure. Selon les mots de Kim Jong-il, il est facile de « faire chanter » la Corée du Sud ou de « l’ignorer » complètement. Les États-Unis seraient, pour leur part, « prêts à croire n’importe quel mensonge s’il a un semblant de logique » (p. 253). Seule la Chine semble encore être respectée et crainte, car d’elle dépend la survie du régime.
Le sentiment que l’auteur ne révèle qu’une parcelle de ce qu’il sait peut parfois être frustrant, d’autant que le récit de son évasion occupe la majorité du livre – dont les deux tiers se passent en fait en Chine – et que les analyses plus poussées du fonctionnement de la Corée du Nord ne sont que sporadiques. L’essentiel des informations est également évidemment invérifiable.
Le portrait de la Corée du Nord dressé par l’ouvrage est en tout cas profondément pessimiste, poignant et terrifiant. Lorsque le narrateur – qui mène une vie aisée à Pyongyang – revient dans son village natal, il le trouve ravagé par la famine à cause de l’effondrement du système de rations étatiques. Un homme est fusillé devant lui pour avoir volé un sac de riz, et il croise le chemin d’une division chargée d’évacuer les cadavres de morts de faim. Le régime semble recroquevillé sur lui-même et ne se concentre plus que sur sa survie : le département dans lequel travaillait Jang Jin-sung a cessé ses activités de propagande à destination des Coréens du Sud depuis 1990, car l’écart de développement a rendu l’entreprise vaine. Il ne se concentre désormais plus que sur ses propres citoyens. La rencontre du narrateur avec Kim Jong-il ouvre le livre et en donne le ton : Jang Jin-sung y est témoin des pleurs du « Cher dirigeant ». Ce ne sont pas, pour lui, des larmes de compassion ou d’émotion, mais celles d’un « homme désespéré » (p. XXVI).