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De la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994)
André Guichaoua Paris, La Découverte, 2010, 621 p.
Un nombre incalculable d’articles, de rapports et d’ouvrages ont été consacrés à la guerre civile et au génocide du Rwanda. Les controverses demeurent violentes et les points de vue tranchés entre les partisans du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame et ceux du clan Hutu du président Juvénal Habyarimana, entre ceux qui privilégient les facteurs internes du génocide et ceux qui mettent en avant le rôle des puissances occidentales, à commencer par celui de la France, et des pays limitrophes du Rwanda. Les débats sont d’autant plus vifs et les descriptions opaques que les évènements factuels et les arguments judiciaires sont brouillés par des considérations et des pressions politiques.
L’ouvrage magistral d’André Guichaoua est incontournable pour dépasser ces débats et éclairer les évènements tragiques du Rwanda. Spécialiste des Grands Lacs depuis plus de trente ans, l’auteur a été un témoin direct des évènements ; il a effectué quinze ans d’enquêtes et a été expert-témoin auprès de plusieurs tribunaux dont le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). L’ouvrage a plus de 600 pages, auxquelles s’ajoutent plus de 2 000 pages d’annexes accessibles par Internet. Les éléments du dossier sont très nombreux, sélectionnés avec soin et convaincants.
L’ouvrage décrit l’enchaînement des évènements, le rôle des acteurs sans jamais céder au manichéisme. Il montre en quoi les conflits anciens s’inscrivent dans des héritages politiques ; il dénoue la complexité des facteurs et des acteurs. Le système Habyarimana du parti unique, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) créé le 5 juillet 1975, avait évolué avec la transition démocratique des années 1991-1993. La guerre s’était intensifiée avec le FPR et les réfugiés au Zaïre et en Ouganda. Par ailleurs, on constatait un poids croissant des extrémistes Hutus au sein de l’appareil d’État et une radicalisation des extrémistes Tutsis réfugiés en Ouganda. Les Accords d’Arusha du 4 août 1993 – accords entre l’État rwandais et le Front patriotique rwandais prévoyant l’intégration politique et militaire des différentes composantes de la nations, en particulier des exilés Ttutsis, ainsi que le départ des Français – n’ont pu conduire à un accord durable.
L’étincelle est apparue le 6 avril 1994 lors de l’attentat contre l’avion transportant les présidents du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et du Burundi, Cyprian Ntaryamira, de retour de Tanzanie.
André Guichaoua prend position sur cette question très débattue. Il note la responsabilité vraisemblable de membres du FPR, mais il montre que l’attentat ne peut être considéré comme l’aplha et l’omega de la guerre et du génocide et que les deux camps ont chacun leur part de responsabilité. Les témoignages personnels concernant le vécu d’André Guichaoua, le sauvetage des enfants du Premier ministre ou les positions incertaines de l’Ambassade de France ou de la cellule élyséenne, sont très éclairants et restitués avec beaucoup de précision.
Cet ouvrage est incontournable pour ceux qui, au-delà du génocide rwandais, veulent comprendre comment s’enchaînent des processus qui échappent en partie à ceux qui les manipulent. Nous comprenons comment se créée le tragique de l’Histoire avec élimination de l’opposition modérée et engrenage de la vengeance et de la violence.