De la guerre à la paix. Pacification et stabilisation post-conflit
Paul Haéri Paris, Economica, 2008, 269 p.
Ancien lieutenant-colonel de l’Armée de terre, officier des troupes de marine, Paul Haéri nous livre ici son témoignage sur les implications sociales, politico-stratégiques et militaires de la multiplication des interventions dites de « stabilisation » auxquelles il a participé, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et en Côte d’Ivoire. Les principaux atouts de ce livre (synthèse et clarté de l’exposé, références historiques nombreuses et fouillées, renvois aux textes doctrinaux de référence) émergent du parti pris de l’auteur : il s’agit d’un « opérationnel » se posant des questions sur l’adaptation des doctrines stratégiques contemporaines à la réalité des théâtres de projection.
Loin des considérations étroitement « stratégistes » de ses pairs, régulièrement publiées dans la même collection, Paul Haéri refuse délibérément les postures idéologiques ou « doctrinaires » –terme plus adéquat, semble-t-il, pour désigner les représentations stratégiques – pour montrer que la complexité inhérente à l’interaction de multiples acteurs sur les théâtres de gestion de crise implique de renoncer à tout dogmatisme de la « solution toute faite ».
Le deuxième intérêt majeur de cet ouvrage réside dans une autre posture, courageuse parce que minoritaire au sein des Armées françaises : il faut assumer les enseignements et les acquis de l’héritage colonial et en tirer profit. La juxtaposition, dans le titre, des termes de « stabilisation » et de « pacification » n’est pas anodine, surtout si l’on considère que le premier terme a remplacé le second dans la taxinomie officielle des Armées, car jugé trop « connoté » historiquement. Issu d’une nouvelle génération d’officiers professionnels arrivée à « maturité » avec l’avènement de la post-bipolarité, davantage tournée vers l’action que la dissuasion et n’hésitant pas à qualifier de « tabou » le précédent algérien, il rappelle que puisque la bataille d’Alger a été un succès militaire –à défaut de l’être au niveau politique – il ne faut pas hésiter à s’en inspirer directement. L’auteur réactive, tout au long de l’ouvrage, la figure de l’officier colonial, Gallieni et Lyautey en tête.
Plus intéressant encore, face à la question de la « redécouverte » du patrimoine colonial au sein des Armées, Paul Haéri souligne le chassé-croisé doctrinal et les transferts d’expérience opérés entre les Français et les Anglo-Saxons à la fois sur les questions de « stabilisation » et de « contre-insurrection ». Il rappelle ainsi que ce sont les autorités militaires américaines (dont le général David Petraeus, superviseur des opérations en Irak et en Afghanistan depuis avril 2008) qui s’inspirent directement des travaux d’anciens officiers coloniaux français, presque totalement oubliés depuis1.
Toutefois, le chercheur en sciences sociales comme le lecteur avisé pourront regretter, dans cet ouvrage, un indéniable manque de réflexivité. Certes, si le propos essentiel de l’auteur est l’adaptation des outils conceptuels des Armées aux réalités complexes et changeantes des théâtres de projection, la validité de ces concepts en eux-mêmes n’est jamais questionnée. Prudent, Paul Haéri plaide pour la nuance face aux dogmatismes stratégiques et la prédominance des réalités tactiques sur les grands schémas planificateurs, mais l’ambition de l’ouvrage n’est pas vraiment de questionner la pertinence des doctrines du moment, ni même d’en proposer une amélioration. Si cela correspond, on l’a vu, au parti pris de l’auteur, on peut tout de même s’interroger : comment poser la question de l’adaptabilité de certains concepts sans s’interroger sur la construction sociale de ceux-ci à travers leurs conditions de (ré)émergence comme les représentations qui les sous-tendent ? L’exhaustivité thématique de l’ouvrage (tous les « secteurs » sociaux touchés par les interventions de « stabilisation » sont balayés) et la volonté de synthèse interdisent sans doute ce préalable pourtant bienvenu.
Au final, De la guerre à la paix est un très bon ouvrage de synthèse pour qui se pose deux questions : quels sont les outils dont disposent les armées occidentales pour faire face à la multiplication des interventions post-bipolaires de « stabilisation » et, dans quels répertoires historiques et socio-culturels puiser ces outils ?
1 David Galula, Contre-insurrection : Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008.