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Dans l’ombre de la décadence. Du Bas-Empire romain à l’Amérique d’aujourd’hui.
Gilles Cosson Les Éditions de Paris, Paris, 2012, 157 p.
Peu d’événements historiques ont suscité autant d’intérêt que la chute de l’Empire romain. Le succès de cet épisode tient à sa résonance : on étudie la décadence de l’Empire romain pour prédire – ou pour se prémunir de – l’inéluctable déclin de l’Occident. En 1984, le professeur allemand Alexander Demandt recensait plus de 200 études sur ses causes. La plus célèbre, celle de l’historien britannique Edward Gibbon à la fin du XVIIIe siècle, pointait la perte du sens civique et l’influence émolliente des valeurs du christianisme. D’autres théories blâment la corruption du système politique (Arnold Joseph Toynbee), la réduction progressive des ressources financières (Mikhail Rostovtzeff, Ludwig von Mises), la déforestation (Jared Diamond) ou la fatale combinaison de l’ensemble de ces facteurs (John Bagnell Bury, Bryan Ward-Perkins).
Le court ouvrage de Gilles Cosson s’inscrit dans cette veine historiographique. Ce polytechnicien, passé par l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT), qui fit une longue carrière dans l’industrie et dans la banque, met face à face Julien l’Apostat et un ancien conseiller du Président Obama retournant à Harvard pour y enseigner l’histoire romaine. La lecture des carnets de route de cet empereur guerrier, qui régna de 361 à 363 avant de perdre la vie en Perse face aux Sassanides, est l’occasion d’une réflexion sur la décadence de la civilisation occidentale. Pour le professeur Bill Marchand, double autobiographique de l’auteur, le Bas-empire romain et l’Amérique d’aujourd’hui sont confrontés à des défis identiques : la menace des Barbares aux frontières hier et des BRICS aujourd’hui, la montée des fondamentalismes religieux, chrétien hier, islamiste et pentecôtiste aujourd’hui, enfin et surtout l’irréalisme des populations qui, pour avoir trop longtemps vécu dans l’opulence, refuse de faire les sacrifices que la situation exige.
Même si les parallélismes sont nombreux (érosion monétaire, diminution de la volonté de combattre, proximité géographique des conflits), Bill Marchand insiste paradoxalement sur les divergences qui séparent l’empereur romain du président américain. Le premier, que l’Histoire a affublé du surnom d’Apostat car il avait renié la foi chrétienne dans laquelle il fut élevé, est confit dans le culte des Dieux romains et violemment hostile au christianisme ; il agit souvent sous l’emprise de la passion et est dépourvu de sens politique ; aveuglé par son hubris qui le conduit à embrasser une ligne belliqueuse et imprudente, il néglige les conseils qui lui sont prodigués ; la toute puissance qu’il exerce n’est modérée par aucun contre-pouvoir. Par contraste, le second apparaît comme un chef autrement plus avisé : à supposer que le mode de fonctionnement de nos démocraties le permette, il semble capable de les sauver du déclin qui les menace.
Hélas, Gilles Cosson ne croit pas dans la capacité de sursaut de nos sociétés. Son double autobiographique estime que « l’Occident est condamné à un profond recul de son niveau de vie » (p. 149). Ses échanges avec une jeune étudiante sont l’occasion de mettre à l’épreuve son pronostic : elle soutient que les révolutions arabes sont porteuses d’une espérance démocratique alors qu’il y voit le risque d’une prise de pouvoir par les islamistes. Il aimerait pouvoir partager l’optimisme de la jeunesse. Mais il estime que ses fonctions lui interdisent de la bercer dans ses rêves irréalistes. Louable lucidité ? Ou irréductible pessimisme ?