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Dans les yeux du bourreau. Les victimes face à Douch au procès des khmers rouges
Pierre-Olivier Sur JC Lattès, 2010, 192 p.
De Nuremberg à Tokyo, du Rwanda à l’ex-Yougoslavie et du Cambodge à la Cour pénale internationale, les évolutions permanentes de la justice pénale internationale focalisent un intérêt croissant des juristes, sociologues, politologues et philosophes[1]. Les multiples enjeux qui la sous-tendent et qu’elle met en scène semblent en effet nécessiter une analyse profonde et multidisciplinaire de l’évolution des systèmes juridiques internationaux ou encore des rapports qui s’établissent entre nécessité morale et juridique d’établir des normes internationales favorisant la paix à l’échelle mondiale et les sociétés locales, aux morales, logiques et temporalités propres.
Dans ce contexte, l’ouvrage de Pierre-Olivier Sur, avocat pénaliste qui a notamment participé à la mise en place du système des parties civiles devant les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC), apporte un éclairage inédit et passionnant du procès de Douch, ancien dirigeant du camp de travail « S-21 » et seul accusé dans le procès des Khmers rouges qui s’est ouvert à Phnom Penh en 2009.
Le très accessible ouvrage de Pierre-Olivier Sur permet tout d’abord de revenir, au fil de son récit, sur les crimes trop oubliés commis sous le régime de l’Angkar de Pol Pot, au pouvoir de 1975 à 1979, qui a décimé entre un quart et un tiers de la population cambodgienne. Ce court ouvrage offre également au lecteur une description détaillée de l’organisation du procès de Douch, qui apporte un témoignage fondamental en de multiples points. La façon dont sont élaborées les CTEC, juridictions créés par l’ONU, intégrées aux structures juridiques du Cambodge, et dont les fondements trouvent leurs racines à la fois dans le droit romano-germanique et la Common Law, montre la flexibilité d’un droit pénal international en constante évolution.
Mais la plus grande force de cet ouvrage réside certainement dans l’interrogation de l’auteur quant à l’absence de mobilisation de la population civile dans ce procès où les victimes ont, pour la première fois dans l’histoire de la justice pénale internationale, le droit de se constituer parties civiles. Ce paradoxe souligne les relations de rejet ou d’appropriation qui peuvent exister entre juristes et diplomates internationaux responsables de la création des tribunaux internationaux et les principaux acteurs concernés par ces institutions : victimes et accusés.
Néanmoins, si les descriptions de Douch proposées par l’auteur nous en offrent un portrait général, le parti pris et le discours militant de l’auteur ne nous permettent pas de dépasser son image de dirigeant impitoyable et manipulateur qui se jouerait des règles du droit international qu’il aurait parfaitement assimilées. Ainsi, le rapport bourreau/victime, le pardon demandé par Douch et sa repentance exprimées, s’ils sont évoqués dans cet ouvrage, mériteraient d’être mis en lumière de façon peut-être plus objective et détaillée.
[1] Notamment parus récemment: Étienne Jaudel, Le procès de Tokyo. Un Nuremberg oublié , Paris, Odile Jacob, 2010 ; Isabelle Delpla et Magali Bessone (sous la dir.), Peines de guerre. La justice pénale internationale et l’ex-Yougoslavie, Paris, éditions EHESS, 2009 ; Pierre Hazan, La Paix contre la justice ? Comment reconstruire un État avec des criminels de guerre, Bruxelles, André Versailles Éditeur, 2010