See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Dans la mêlée mondiale, 2009-2012.
Hubert Védrine Fayard, Paris, 2012, 513 p.
Après Le temps des chimères (2003-2009) et Continuer l’Histoire, Hubert Védrine nous livre un nouveau recueil d’articles, de conférences et d’entretiens accordés tout au long des quatre dernières années, regroupés en une douzaine de questions d’actualité internationale et un chapitre de réflexions diverses. L’ouvrage est donc, comme ceux de ce genre, à la fois intéressant et frustrant. Intéressant parce qu’il apparaît d’abord comme la démarche de réflexion d’un esprit toujours en éveil sur la vie internationale qui illustre la noblesse du métier de diplomate. Sur un même sujet, l’ancien ministre des Affaires étrangères mêle des souvenirs d’évènements, de débats ou de discussions qu’il a eus avec François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Philippe Seguin ou ses homologues ministres des Affaires étrangères, et des analyses de l’actualité présente. Sur l’Europe, il rappelle les débats et les compromis qu’il a fallu accepter – comme par exemple l’abandon concédé aux Allemands de l’idée mitterrandienne de l’indispensable gouvernance politique au moment de l’adoption de l’euro – qui, à la lumière de la crise actuelle, apportent des éclairages extrêmement intéressants. Le livre revient sur de nombreux thèmes qui ont structuré l’action d’H. Védrine à l’Élysée puis au Quai d’Orsay, comme le constat du dérèglement économique international que l’ultralibéralisme voulu par Ronald Reagan et Margaret Thatcher a généré, la fin du monopole occidental, accélérée par la montée inexorable des puissances émergentes et les nouvelles règles de la vie internationale qu’il refuse de regarder comme le simple recul de l’Occident, la crise de l’Europe sans gouvernance emportée par ses dynamiques d’intégration irraisonnées… Il est le penseur de la multipolarité et reconnaît à Nicolas Sarkozy d’avoir conçu et mis en place le G 20, seule instance planétaire associant les nouvelles puissances. Il insiste régulièrement sur la nécessité d’associer l’un ou l’autre de ces nouveaux acteurs à toutes les grandes décisions internationales et il rend hommage à Barack Obama d’avoir compris ces nouvelles nécessités. Cependant l’Obamania qui habite l’opinion européenne, lui paraît un peu euphorique et trompeuse, craignant un retour toujours possible d’un avatar militarisé de l’unilatéralisme « bushiste » aux États-Unis. H. Védrine développe dans une série d’articles une vision claire des « Printemps arabes » auxquels il demande d’accorder du temps, il critique le « droit-de-l’hommisme » devenu une idéologie en soi, revient sur sa critique du « droit d’ingérence » cher à Bernard Kouchner et Mario Bettati plus tard remplacé par le « devoir de protéger » conceptualisé par Kofi Annan et Mohamed Sahnoun.
Les sujets traités sont dictés par l’actualité. C’est la frustration que crée ce livre. L’auteur justifie l’intervention militaire en Libye, prend ses distances avec l’idée d’une action identique en Syrie, mais jamais n’apparaît le cas bahreïni que l’Arabie Saoudite a envahi pour y mener la même politique. Pourquoi la Syrie plutôt que le Bahreïn ? Pourquoi aucune analyse de la guerre au Congo, conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale ? La frustration renvoie à une question centrale sur la scène internationale : qui finalement fait l’agenda international ? Qui décide de l’ordre hiérarchique des crises ? On attend donc de l’ancien ministre des Affaires étrangères, un nouveau livre de réflexion plus prospectif.
Une des qualités essentielles de ce livre (qui peut s’ouvrir et se lire à n’importe quelle page et à n’importe quel moment) est de voir naître et se développer la réflexion d’un des rares penseurs et praticiens français de la politique internationale, qui exprime parfois par des fulgurances de langage les nouvelles réalités : « l’Europe, succursale des États-Unis », « le Frankenstein [qu’est devenue] la sphère financière ».