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Coups et blessures, 50 ans de secrets partagés avec François Mitterrand
Roland Dumas Paris, Cherche midi, 2011, 511 p.
Roland Dumas fut le ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand pendant neuf années. Ancien président du Conseil constitutionnel, ténor du barreau de Paris, il revisite cinquante années d’histoire politique française et de géopolitique.
Fortement marqué par la Seconde Guerre mondiale et par l’exécution de son père par l’occupant, R. Dumas en gardera une grande méfiance vis-à-vis de l’Allemagne (il votera contre la Communauté européenne de défense en 1954, jugée comme un premier pas vers le réarmement de l’Allemagne). Mais F. Mitterrand le convaincra de l’importance de la construction européenne et de la nécessité de la réconciliation avec le peuple allemand. Dès lors, R. Dumas, une fois au gouvernement, s’emploiera à renforcer les liens entre les dirigeants des deux pays, d’abord en tant que ministre des Affaires européennes, puis en tant que ministre des Affaires étrangères.
On redécouvre à travers ce livre le rôle qu’il a joué dans la décolonisation, et principalement dans le dossier algérien, où, en tant qu’avocat, il défendra systématiquement les Français accusés de soutenir la cause de l’indépendance algérienne. Une telle situation ne manquait pas de sel et fait d’ailleurs sourire l’intéressé lui-même, qui rappelle qu’à l’époque le Garde des Sceaux s’appelait « François Mitterrand, qui était alors dans le camp de ceux qui les faisaient arrêter » (p. 71). Aux côtés d’intellectuels bien connus, R. Dumas avoue avoir fait partie des réseaux Jeanson et le dit sans fausse pudeur : « Je n’ai jamais eu de cas de conscience car la cause était juste. Comme mes camarades, j’ai été un porteur de valises » (p. 72). Il nouera au cours de cet épisode des relations très fortes avec de hauts responsables algériens, qui se proposeront vingt ans plus tard de faire le lien entre Dumas, alors émissaire secret du nouveau président de la République française, et le colonel Kadhafi qui souhaitait se rapprocher du gouvernement socialiste.
Chute de l’Union soviétique, guerre en Yougoslavie, conflit israélo-palestinien et construction européenne sont autant d’occasions pour l’auteur de livrer quelques anecdotes, de souligner son admiration pour le Président Mitterrand, de dévoiler les coulisses de grands moments devenus historiques, comme le jour où il suggère à Yasser Arafat d’utiliser le mot « caduque » pour renoncer publiquement à la Charte de l’OLP qui revendiquait alors la destruction d’Israël.
R. Dumas n’hésite pas à commenter aussi l’actualité géopolitique : « La bombe atomique des Iraniens est à mes yeux comme les armes de destruction massive de Saddam Hussein. Je n’y crois pas » (p. 317), tandis qu’il voit dans les printemps arabes « plus une révolte de la ‘‘génération internet’’ contre la misère et la corruption qu’[un] rêve intégriste » (p. 510).
En désaccord avec presque toutes les orientations diplomatiques de Nicolas Sarkozy, il dénonce l’alignement de la diplomatie française sur les grandes orientations américaines et assène : « Sa politique n’a ni queue ni tête. Elle manque de rigueur et d’idées directrices quand elle n’est pas en opposition totale avec les intérêts de la France tels qu’ils ont été consacrés depuis la guerre » (p. 506).
R. Dumas n’épargne pas non plus ses anciens camarades et particulièrement Dominique Strauss-Kahn qu’il trouve « pas assez à gauche », ou encore Bernard Kouchner à qui il reproche son inaction : « A mon époque aussi la politique internationale de la France était faite à l’Élysée, mais en synergie avec le ministre des Affaires étrangères » (p. 506).
Enfin, au travers de ce récit, R. Dumas parle aussi de lui, de son goût pour les conquêtes féminines ou de sa satisfaction à avoir su mettre sa famille à l’abri des difficultés matérielles. Il évoque évidemment l’affaire Elf et ses relations avec les différents protagonistes du dossier. Il reconnaît que l’affaire a failli le pousser au suicide, et garde une haine tenace contre l’ex-juge Eva Joly à qui il reproche d’être allée trop loin dans l’humiliation et l’inquisition.
Le ton général du livre est plaisant, la plume est alerte et ne trahit pas la présentation faite par l’éditeur qui parle d’un récit « non sans distance ni ironie ». Car Roland Dumas n’a plus rien à attendre de la République et aspire dorénavant à vivre sa retraite politique. Désormais libre, il est ainsi disposé à se raconter sans détour, pour le plus grand intérêt de ses lecteurs.