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Chypre-Turquie. Perspective géopolitique
Charalambos Petinos Paris, LHarmattan, 2011, 209 p.
La partition de l’île de Chypre constitue une pierre d’achoppement majeure dans le processus d’intégration de la Turquie à l’Union européenne. Dans une analyse bien documentée sur le plan des sources produites par les organisations internationales, Charalambos Petinos propose un éclairage synthétique des différents points de résistance à l’émergence d’une solution en faveur de la réunification.
La démarche de l’auteur consiste, dans un premier temps, à présenter les données géographiques de l’île de Chypre, dont la principale caractéristique tient à son ancrage en Méditerranée orientale, au carrefour de trois continents : Asie, Afrique, Europe. Or, les représentations de cet ancrage tendent à évoluer au gré des dominations étrangères de l’île (hellène, byzantine, franque, vénitienne, ottomane et britannique) qui se superposent et se succèdent jusqu’à la création de la République de Chypre, en 1960. L’organisation bicommunautaire qui en résulte, entre une majorité chypriote grecque et une minorité chypriote turque, tend à accentuer progressivement le déséquilibre existant entre les réalités démographiques et le fonctionnement de la Constitution. En effet, la rupture entre les deux communautés, initiée en 1963, a ouvert une brèche, qui a abouti à la partition de l’île en 1974, suite à l’intervention militaire de la Turquie. Cette dernière répondait au coup d’État fomenté par la junte athénienne contre l’archevêque et président de la République de Chypre, Makarios III.
Dès lors, l’occupation de 37 % de l’île, dans sa partie septentrionale, par la Turquie s’est transformée en stratégie d’appropriation du territoire, avec des conséquences déplorables sur le plan du respect des droits de l’homme, notamment parce qu’elle interdit aux Chypriotes grecs de pouvoir jouir de leur propriété dans le nord de l’île. À cet égard, la position de la Turquie semble inflexible et Ankara se montre peu encline à collaborer avec les institutions internationales pour endiguer la disparition du patrimoine culturel grec. Ce processus est d’ailleurs qualifié par C. Petinos de « nettoyage ethnique du passé » (p. 66).
Dans les pages qui suivent, l’auteur explique les mécanismes de résistance existant dans la société chypriote grecque à l’encontre du plan Annan, refusé en 2004, par voie référendaire. En effet, les Chypriotes grecs se sentaient spoliés par les deux dernières moutures du plan, qui se trouvaient être moins le fruit des négociations entre les différents acteurs de la question chypriote, que l’écho des desiderata d’Ankara.
L'auteur fait ensuite un état des lieux détaillé de la dernière séquence de négociations entre le Nord et le Sud de l'île. L’enthousiasme qui a suivi l’élection de Demetris Chrisofias à la présidence de la République en 2008 a rapidement laissé place à l’inquiétude, après l'élection en 2010 du nationaliste chypriote turc, Derviş Eroğlu, à la tête de l'administration de Chypre Nord. Le renforcement du tropisme truc, par les autorités de Chypre Nord, pèse négativement sur les négociations actuelles.
Très certainement, la partie la plus intéressante de cet ouvrage est constituée par l'analyse de la question chypriote que propose l’auteur sur le plan de l'équation géopolitique régionale, mettant en scène la Turquie dans son environnement à la fois européen et moyen-oriental. En effet, le processus d'intégration de la Turquie à l’UE possède une dynamique qui ne se limite pas aux seuls enjeux européens, mais concerne aussi les agissements d’Ankara sur le plan des reconfigurations diplomatiques et multilatérales du Moyen-Orient. C’est notamment le cas des questions liées à la définition de l’espace maritime qui permettra à la République de Chypre d’exploiter, ou non, les gisements d’hydrocarbures se trouvant au large de ses côtes. L’auteur affirme qu’une interaction existe : « Les menaces d’Ankara au sujet de l’exploitation de champs pétroliers par Chypre pourraient bloquer l’accession de la Turquie à l’Union européenne… » (p. 129).
Cette dernière livraison de C. Petinos est un ouvrage engagé, qui propose un bon état des lieux de la question chypriote et sera d’autant plus utile pour comprendre les enjeux de la présidence de la République de Chypre du Conseil de l’Union européenne, à partir de juillet 2012. Les nombreux textes placés en annexe permettent en outre une consultation facilitée de sources importantes.