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Churchill, seigneur de guerre
Carlo dEste Paris, Perrin, 2010, 1046 p.
C’est une biographie impressionnante que Carlo d’Este a consacrée à Churchill. L'auteur s'est concentré sur un aspect particulier: le rapport de Churchill à la guerre tout au long de sa carrière. On peut donc regretter que les autres aspects de sa vie politique aient été négligés. On aurait aimé voir développée son attitude par rapport à la décolonisation de l'Inde, son intervention pour permettre à la France d'obtenir un statut de vainqueur de la Seconde guerre mondiale et ses conversations avec Staline sur les sphères d'influence, ou encore son discours sur la Guerre froide. Carlo d’Este estimant que tout ceci avait déjà été largement traité, s’est concentré sur la relation de Churchill avec la guerre. Chacun connaît la détermination avec laquelle Churchill a résisté à Hitler. Le livre retrace bien les hésitations des Britanniques, les tentations de se tenir à l'écart du conflit. Churchill a réellement fait pencher la balance dans la décision de ne pas accepter l'inacceptable. Une grande partie des élites britanniques était disposée à ne pas s'opposer au nazisme tant la peur croissante du danger communiste et de l'Union soviétique les tétanisait. Après la capitulation française, Lloyd George – pour qui la Grande-Bretagne ne pouvait gagner la guerre seule et ne croyant pas dans l'intervention américaine – croyait nécessaire de négocier la paix. L'une des questions essentielles posées est de savoir ce qui se serait passé en septembre 1939 si la France avait réagi de manière agressive en envahissant l'Allemagne. Carlo d’Este estime qu’à l'époque la France aurait pu emporter la victoire et que les généraux allemands qui méprisaient Hitler se seraient dressés contre lui pour le destituer.
Mais s'il a toujours été inébranlable dans la décision, le livre montre les erreurs stratégiques que Churchill a commis ou failli commettre dans son exécution. Il s'est sans cesse heurté à ses généraux voulant trop souvent précipiter les choses.
Partisan de la fermeté, Churchill était néanmoins sensible. Tout au long de la Seconde guerre mondiale, il montre à la fois une volonté inébranlable de vaincre Hitler, d'intensifier la guerre et cependant est extrêmement sensible aux pertes humaines, au point de ne pouvoir contenir à plusieurs reprises ses sanglots à l'annonce de pertes tragiques. Il démissionna de l'amirauté pour s'engager dans la guerre des tranchées de la Première guerre mondiale, il partagea le sort des soldats et lorsqu'il recevait des visites de délégations, il les emmenait toujours voir la réalité sordide des conditions dans lesquelles vivaient les soldats.
Il avait un goût prononcé pour la technologie, il avait vite perçu le fort potentiel de l'aviation et ses applications militaires. Il a constamment invité les scientifiques à travailler de façon innovante contre l'avis général de son entourage.
Son rôle le plus important après l'évacuation de Dunkerque, que Churchill veilla à ne pas présenter comme une victoire : « on ne gagne pas les guerres avec des évacuations. », fut d'enrayer le défaitisme de la population britannique.
L'auteur raconte comment Churchill accueillit avec soulagement la nouvelle de Pearl Harbour qui, au-delà du drame pour les Américains, signifiait leur entrée en guerre. « Cela présageait un avenir bien sombre mais au moins maintenant nous avions un avenir. » Pour lui, seuls les bombardements fournissent les outils de la victoire. Il insista pour donner la priorité à la Royal Air Force convaincu du caractère décisif des bombardements stratégiques. Le livre montre également la perception par Churchill de la disparition de l'Empire et du rôle secondaire laissé au fur et à mesure à l'armée britannique vis-à-vis des Etats-Unis. De quoi rendre nostalgique celui qui déclarait « Plus nous nous étendrons à travers le monde mieux ce sera pour la race humaine» disait-il en 1877, étudiant à Oxford.