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Business partners. Firmes privées et gouvernance mondiale de la santé
Par Auriane Guilbaud - Paris, Presses de Sciences po, 2015, 208p.
Auriane Guilbaud a soutenu, en 2012, sa thèse de doctorat en science politique sur l’insertion progressive des entreprises dans la gouvernance mondiale de la santé. Elle publie, trois ans plus tard, dans une forme très condensée, le résultat de ses travaux. Elle y montre comment « des acteurs initialement situés à la périphérie du système sanitaire international ont progressivement accédé à ses structures de gouvernance » (p. 27).
Cette insertion n’allait pas de soi. À l’origine, le système sanitaire international ne connaît que les États. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), créée en 1948 et installée à Genève, est une organisation intergouvernementale, financée par les États, dirigée par eux et conçue pour leur fournir des services. Les entreprises privées n’y jouent aucun rôle – à la différence des organisations non gouvernementales (ONG) qui figurent, elles, dans la Constitution de l’organisation et avec lesquelles une coopération est possible. Mais cette ignorance mutuelle s’estompe à la fin des années 1970. S’engageant sur de nouvelles pratiques liant santé et développement, l’OMS promeut, non sans résistance, des codes de bonne conduite. Le premier concerne les substituts de lait maternel. Utilisés dans de mauvaises conditions sanitaires, ils peuvent mettre en danger la santé des nourrissons. Les ONG se mobilisent. Un appel au boycott de Nestlé est lancé en 1977. Un code de conduite est finalement adopté en 1981 malgré l’opposition des États-Unis, qui menacent de quitter l’organisation.
Sujets de régulation plus ou moins passifs, plus ou moins consentants, les firmes deviennent progressivement des partenaires dans les années 1980. Elles participent à des programmes de recherche tels que le TDR (Tropical Diseases Research Program) lancé par l’OMS. Dix ans plus tard, ces coopérations s’institutionnaliseront sous la forme de partenariats public-privé (PPP). Auriane Guilbaud en dresse la liste, distinguant partenariats de plaidoyer, PPP de développement de produits et PPP d’accès aux médicaments. La plupart prévoient une règle de partage des droits de propriété intellectuelle. Cette question surgit avec la signature, en 1994, de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC). L’allongement de la durée des brevets protège les entreprises mais limite le développement des médicaments génériques et, par voie de conséquence, l’accès de tous à la santé. La question devient brûlante avec l’accès des malades du sida aux antirétroviraux (ARV) sous licence. Pour contrer les campagnes qui leur sont hostiles, les firmes pharmaceutiques mettent très tôt en œuvre des programmes de donation de médicaments. La voie est ouverte par le Mectizan de Merck, utilisé dans le traitement de l’onchocercose. Auriane Guilbaud n’a pas tort de dénoncer la fausse logique du horsmarché qui régirait ces politiques de donation : les entreprises ne donnent pas par philanthropie mais pour défendre leur image dans l’espoir de retombées commerciales.
La dernière étape de l’insertion des entreprises est leur participation aux instances de gouvernance proprement dites. C’est le cas au sein du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, créé en 2001. Mais si les Nations unies sous Kofi Annan (lancement du Global Compact en juillet 2000) et l’OMS sous Gro Harlem Brundtland encouragent la coopération avec les entreprises, le pas n’est pas encore franchi de leur donner une place trop grande dans la prise de décision, sauf à nourrir le fantasme de la « privatisation de l’OMS ».
En analysant la participation des firmes à la gouvernance de la santé, la thèse d’Auriane Guilbaud est une contribution précieuse à la sociologie des relations internationales qui nous a appris que l’État, désormais concurrencé par de nouveaux acteurs (firmes privées, ONG, religions, diasporas, etc.), avait perdu le monopole des relations internationales. C’est aussi une contribution aux études en santé publique (Health studies), dont de nombreux travaux se sont intéressés aux liens entre santé et mondialisation sans prendre en compte la spécificité des entreprises.
Cette insertion n’allait pas de soi. À l’origine, le système sanitaire international ne connaît que les États. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), créée en 1948 et installée à Genève, est une organisation intergouvernementale, financée par les États, dirigée par eux et conçue pour leur fournir des services. Les entreprises privées n’y jouent aucun rôle – à la différence des organisations non gouvernementales (ONG) qui figurent, elles, dans la Constitution de l’organisation et avec lesquelles une coopération est possible. Mais cette ignorance mutuelle s’estompe à la fin des années 1970. S’engageant sur de nouvelles pratiques liant santé et développement, l’OMS promeut, non sans résistance, des codes de bonne conduite. Le premier concerne les substituts de lait maternel. Utilisés dans de mauvaises conditions sanitaires, ils peuvent mettre en danger la santé des nourrissons. Les ONG se mobilisent. Un appel au boycott de Nestlé est lancé en 1977. Un code de conduite est finalement adopté en 1981 malgré l’opposition des États-Unis, qui menacent de quitter l’organisation.
Sujets de régulation plus ou moins passifs, plus ou moins consentants, les firmes deviennent progressivement des partenaires dans les années 1980. Elles participent à des programmes de recherche tels que le TDR (Tropical Diseases Research Program) lancé par l’OMS. Dix ans plus tard, ces coopérations s’institutionnaliseront sous la forme de partenariats public-privé (PPP). Auriane Guilbaud en dresse la liste, distinguant partenariats de plaidoyer, PPP de développement de produits et PPP d’accès aux médicaments. La plupart prévoient une règle de partage des droits de propriété intellectuelle. Cette question surgit avec la signature, en 1994, de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC). L’allongement de la durée des brevets protège les entreprises mais limite le développement des médicaments génériques et, par voie de conséquence, l’accès de tous à la santé. La question devient brûlante avec l’accès des malades du sida aux antirétroviraux (ARV) sous licence. Pour contrer les campagnes qui leur sont hostiles, les firmes pharmaceutiques mettent très tôt en œuvre des programmes de donation de médicaments. La voie est ouverte par le Mectizan de Merck, utilisé dans le traitement de l’onchocercose. Auriane Guilbaud n’a pas tort de dénoncer la fausse logique du horsmarché qui régirait ces politiques de donation : les entreprises ne donnent pas par philanthropie mais pour défendre leur image dans l’espoir de retombées commerciales.
La dernière étape de l’insertion des entreprises est leur participation aux instances de gouvernance proprement dites. C’est le cas au sein du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, créé en 2001. Mais si les Nations unies sous Kofi Annan (lancement du Global Compact en juillet 2000) et l’OMS sous Gro Harlem Brundtland encouragent la coopération avec les entreprises, le pas n’est pas encore franchi de leur donner une place trop grande dans la prise de décision, sauf à nourrir le fantasme de la « privatisation de l’OMS ».
En analysant la participation des firmes à la gouvernance de la santé, la thèse d’Auriane Guilbaud est une contribution précieuse à la sociologie des relations internationales qui nous a appris que l’État, désormais concurrencé par de nouveaux acteurs (firmes privées, ONG, religions, diasporas, etc.), avait perdu le monopole des relations internationales. C’est aussi une contribution aux études en santé publique (Health studies), dont de nombreux travaux se sont intéressés aux liens entre santé et mondialisation sans prendre en compte la spécificité des entreprises.