Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au XXIe siècle. Convergence Nord-Sud
Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier (sous la dir.) Paris, La Découverte, 2008
Au départ, il s’agit d’un projet ambitieux : montrer que l’autoritarisme survit ou se développe aussi bien au Sud qu’au Nord, et qu’une série de facteurs propices sont perceptibles dans ces deux types de sociétés. Si le résultat n’est pas tout à fait convaincant, en revanche, la collection d’essais permet de faire le point sur la survivance de l’autoritarisme dans les pays du Sud – les contributions traitent surtout du monde arabo-musulman et de l’Amérique latine – en apportant une grande richesse d’analyses et d’exemples. Face à l’évangélisme occidental, reposant sur la multiplication des conventions multilatérales et la mise en oeuvre des projets de think tanks anglo-saxons d’établir la démocratie au Sud, il est nécessaire de rappeler que cette dernière ne saurait être l’affaire d’un beau schéma constitutionnel avec un parlementarisme de façade et la tenue régulière d’élections. Comme l’étude des causes du fascisme avait amené à se pencher sur les caractéristiques de la « personnalité autoritaire », il faut s’interroger sur l’aptitude d’une société à mettre en œuvre les mécanismes d’une démocratie réelle, effective.
Les régimes du Sud sont d’abord des États régis par des liens personnels plutôt que par des lois et la respublica. Pour des raisons de survie en milieu hostile, dans un cadre institutionnel très fragile car peu légitime, les dirigeants du Sud font d’abord confiance aux liens primordiaux – l’ethnie, la caste ou à la corporation (l’armée). Après la décolonisation, il était souvent affirmé que le règne de l’homme fort était nécessaire pour passer cette transition inévitable entre l’ère coloniale et la modernité démocratique – tant étaient redoutables les écueils. Mais, après plusieurs décennies, et malgré les pressions de la communauté des pays développés, ce pouvoir fort survit en se recomposant, se coulant dans le mécanisme du pluralisme pour mieux le contrôler : la compétition pacifique n’offre généralement pas de réelle perspective d’alternance, tant sont bien maîtrisés les réseaux indispensables à la conquête du pouvoir (Michel Camau). L’armée a ainsi bénéficié de la persistance des troubles, des conflits de basse intensité et de la nouvelle guerre générale contre la « terreur » pour s’éclipser de la tribune présidentielle en se disséminant dans tous les niveaux de l’appareil d’État (Elisabeth Picard). Et lorsque les hommes de la junte sont obligés de tirer leur révérence, ils savent préparer l’avenir : Olivier Dabène montre comment le régime pinochettiste a su mettre en œuvre un certain nombre de garde-fous pour protéger les intérêts de l’armée et perpétuer un certain type de fonctionnement social malgré l’avènement de la démocratie. Cette théorie des enclaves autoritaires (intérêts sanctuarisés de l’armée, agences bureaucratiques échappant au contrôle démocratique) rejoint une autre sur la nature autoritaire des sociétés. La persistance du système latifundiaire au Brésil, de l’État « profond » en Turquie (Ahmet Insel) ou du pouvoir de l’oligarchie dans les pays arabes repose sur la pérennité d’une culture de la hiérarchie et du mépris, du clivage social et du rapport de forces qu’il sera difficile de modifier ; pire, cette culture anime même les mouvements d’opposition, peu aptes à modifier la nature du pouvoir une fois celui-ci conquis. L’exemple saisissant de la collusion entre médias, milieux d’affaires urbains et grands propriétaires terriens pour faire échouer la réforme agraire brésilienne montre que l’instauration de la démocratie ne signifie pas un victoire décisive pour les défavorisés, quant bien même l’un d’entre eux arrive aux sommets du pouvoir.
Il n’est guère optimiste d’espérer que la libéralisation des échanges économiques entraînera ipso facto la démocratisation. Celle-ci n’affecte pas obligatoirement la nature de la culture politique, et l’émergence d’une classe moyenne dans le secteur privé ne garantit nullement l’avènement d’une force revendicative, indispensable à un régime libéral (Eberhard Kienle).
« Pluraliste par défaut » mais résilient lorsque les vrais enjeux de pouvoir sont concernés, le régime autoritaire semble avoir encore quelques beaux jours devant lui. Constat pessimiste mais solidement étayé, pas toujours évident à lire, l’ouvrage collectif apporte une contribution essentielle sur la connaissance des États du Sud.