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Au pays des enfants rares
Isabelle Attané Paris, Fayard, 2011, 280 p.
En 2010, la Chine accède au rang de deuxième puissance économique mondiale, trente ans après s’être lancée dans l’économie socialiste de marché. Isabelle Attané, de l’Institut national d’études démographiques, s’interroge sur la capacité de ce pays à maintenir sa position devant les inégalités auxquelles sont confrontés les familles et a fortiori les enfants chinois. L’auteure parcourt les provinces chinoises, en mettant à jour six notions cléfs dont l’emblématique politique de l’enfant unique menée depuis 1979, permettant une transition démographique accélérée. S’opposent alors l’enfant-empereur des villes, qui cristallise toutes les attentes familiales, et les enfants délaissés des campagnes, bien souvent livrés à eux-mêmes, quand ils ne sont pas vendus.
À travers des grands thèmes de société, l’auteure se propose de nous faire découvrir les campagnes chinoises, dans lesquelles, malgré les nombreuses mesures prises par le gouvernement lors de la dernière décennie, les conditions de vie restent extrêmement dures ; particulièrement pour les femmes et les enfants. Ces propos sont illustrés par une succession de tableaux de vie, plus réalistes les uns que les autres, sans que jamais l’ouvrage ne tombe dans le misérabilisme. La santé, l’éducation, la culture et les migrations intérieures sont passées au crible, afin de donner au lecteur une vue d’ensemble, tout en questionnant les autorités sur l’apparente inefficacité des mesures censées réduire les inégalités entre les zones rurales et urbaines : instauration de neuf ans de scolarité obligatoire, création de coopératives médicales, assouplissement du Hukou (livret d’enregistrement de résidence nécessaire pour changer de logement, longtemps utilisé pour réguler l’exode rural et continuant d’être un outil de discrimination), signature par la Chine des conventions des Nations unies relatives aux droits de l’enfant et à l’organisation du travail des mineurs, etc.
Il reste cependant évident pour l’auteure que la vie citadine, si elle est différente, est toute aussi complexe. L’élitisme ambiant impose aux jeunes citadins une véritable lutte quotidienne pour atteindre l’université. Jadis sésame pour une nouvelle vie de « nanti », cette dernière a aujourd’hui perdu de son aura face à la diminution du nombre d’opportunités d’emplois qualifiés, dans un pays qui s’est hissé à la deuxième place de l’économie mondiale grâce à une main d’œuvre bon marché. Que ce soit en ville ou à la campagne, enfance ne rime pas en Chine avec insouciance, mais bien souvent avec préférence. En reprenant le thème de ses ouvrages précédents, I. Attané met l’accent sur la masculinisation de la population chinoise. Un point commun qui prend sa source dans l’obsession ancestrale de l’Empire du milieu pour les fils. La Chine est le pays qui détient le plus grand déséquilibre des naissances en faveur des garçons. On estime que le déficit de femmes atteindra les 40 millions d’ici les vingt prochaines années.
Après avoir su gérer le risque de la surpopulation, accéder à l’autosuffisance alimentaire, le gouvernement chinois fait encore face à de nombreux défis : préparer l’avenir en considérant la main d’œuvre non qualifiée moins abondante qu’avant, faire face au vieillissement très rapide de la population, protéger les femmes, créer un système de retraite, freiner la pollution grandissante… Mais surtout réformer l’économie pour la rendre compatible avec cette nouvelle démographie. Ces modifications représentent la seule voie, selon l’auteure, pour que la Chine puisse prétendre au maintien de son rang de deuxième puissance économique mondiale.
Si le titre semble annoncer une étude démographique, l’ouvrage est essentiellement orienté sur la disparité des conditions de vie des provinces chinoises. Il met l’accent en particulier sur les zones rurales, donnant parfois l’impression de survoler les problématiques citadines, pourtant tout aussi intéressantes. Quoiqu’il en soit, s’il s’agit bien d’un ouvrage d’analyse, sa lecture est aisée et il est à mettre sur la table de chevet de tous les curieux.